Syrie, Mali, Afghanistan. Les «djihadistes français», qui se battent au nom de l'islam dans des nations en guerre, font la manchette depuis plusieurs mois dans l'Hexagone. Portrait d'un phénomène qui dérange de plus en plus la communauté musulmane française.

Habits militaires, kalachnikov en main, mines sérieuses: Nicolas B. et Jean-Daniel n'entendent pas à rire. Dans une vidéo diffusée à la mi-juillet, les deux jeunes frères toulousains implorent tous les Français - et surtout le président de la République - de se battre comme eux au nom de l'islam.

«Ô François Hollande, convertis-toi à l'islam, sauve ton âme du feu de l'enfer et désavoue tes alliés juifs et américains, retire les troupes du Mali, arrête de combattre les musulmans, arrête de combattre l'islam», lance l'aîné de 30 ans dans la vidéo tournée en Syrie et relayée sur YouTube.

Quelques jours plus tard, un homme de 47 ans a été arrêté à Belfort, dans l'est de la France. Il était soupçonné de vouloir lui aussi se joindre aux combattants islamistes opposés au régime de Bachar al-Assad. Il a finalement été relâché la semaine dernière, faute de preuves de son départ imminent pour la Syrie.

Les exemples de ces «djihadistes français» - des Français de souche convertis à l'islam puis tombés dans l'extrémisme - se sont multipliés au cours des derniers mois. Selon le ministre de l'Intérieur, Manuel Valls, au moins 50 citoyens de l'Hexagone sont ainsi partis combattre en Syrie.

«Cinquante, peut-être plus encore, sont sur place, quarante sont en transit, une trentaine sont revenus et sont en tout cas sous la surveillance de nos services, a-t-il déclaré sur France 2 au début du mois de juillet. Une poignée sont décédés, morts dans des combats sur place.»

Au total, selon Manuel Valls, plus de 600 Européens convertis prendraient part aux combats en Syrie, ce qu'il juge «très inquiétant». De nombreux autres sont au Mali et en Afghanistan, notamment.

D'après une source judiciaire citée par l'AFP, 14 enquêtes judiciaires sont en cours et 5 autres ont été ouvertes à Paris en lien avec des infractions terroristes en Syrie. Au moins 36 personnes sont mises en cause.

Une «petite frange»

Si les cas comme celui de Nicolas B. et de Jean-Daniel font sensation dans les médias français, ils représentent néanmoins une «extrême minorité" des Français qui se convertissent à l'islam. Une nuance que répète Franck Fregosi, grand spécialiste de l'islam et directeur de recherche au Centre national de la recherche scientifique (CNRS), pendant un entretien avec La Presse.

«Malheureusement, on ne parle souvent que de cette extrême minorité, car c'est celle qui fait le plus de bruit, souligne-t-il. C'est une très petite frange qui est suivie par la police.»

Dans Belleville, quartier du XIe arrondissement de Paris où les boucheries halal et les commerces musulmans sont remplis en cette période de ramadan, certains n'hésitent pas à dénoncer ces «djihadistes français». Et, surtout, leur impact sur l'image de toute la communauté.

«Le mauvais comportement de ces musulmans, ça nous fait du mal à nous, les musulmans qui sont discrets, qui essaient de s'intégrer à la population», déplore Myriam Vollant, convertie à l'islam depuis 1991, rencontrée dans une librairie à deux pas de la mosquée Abou Bakr As Saddiq.

Ces cas extrêmes nuisent bel et bien à la réputation de l'islam en France, confirme le sociologue Franck Fregosi. Les Français sont de plus en plus méfiants à l'égard de cette religion et cela se perçoit dans les sondages. Selon un sondage de l'Institut Montaigne réalisé en avril, 73 % des Français ont une perception négative de l'islam.

Pire, le nombre d'attaques contre des musulmans est en forte hausse sur le territoire français. Les actes et menaces islamophobes ont bondi de 35 % pendant les six premiers mois de 2013, selon l'Observatoire contre l'islamophobie.

«L'islam est devenu une sorte de bouc émissaire de toutes les peurs et frustrations sociales qui touchent la France», analyse M. Fergosi.

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Les convertis en France

Combien de Français se convertissent chaque année à l'islam? Des chiffres souvent véhiculés font état de 4000 à 5000 conversions. Or, aucune institution ne comptabilise les «certificats de conversion» délivrés par les mosquées aux nouveaux musulmans, ce qui rend toute estimation difficile.

Il n'existe aucune source statistique fiable, résume Franck Fergosi, sociologue et spécialiste de l'islam. Il déplore qu'on parle uniquement du phénomène de la conversion en lien avec les histoires récentes de «djihadistes français» en Syrie. Il rappelle que ces extrémistes constituent une infime minorité des nouveaux musulmans. «Leur engagement les amène à se comporter comme s'ils étaient des combattants de l'islam d'aujourd'hui, dit-il. Ils essaient de s'illustrer comme des supercroyants ou supramusulmans.»

M. Fergosi souligne que la radicalisation ne passe plus nécessairement par un imam, mais bien souvent par l'internet, où les sites extrémistes pullulent. «Le cheik Google réagit plus vite que l'imam dans les mosquées de quartier, dit-il avec une pointe d'ironie. Aujourd'hui, on est devant un phénomène d'autoradicalisation.

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Cas récents de «djihadistes français»

Au Pakistan

Trois djihadistes français ont été arrêtés au Pakistan, puis expulsés vers la France, au début du printemps. Les hommes de 26 à 30 ans, originaires de la région d'Orléans, ont été interceptés après avoir traversé de façon clandestine entre l'Iran et le Pakistan. Au moment de leur arrestation, ils se trouvaient avec un autre Français, Naamen Meziche, décrit par une source de l'AFP comme un "cadre" de haut rang du groupe terroriste al-Qaïda.



En Syrie


Le cas Nicolas et Jean-Daniel B. a remis en lumière la présence de «djihadistes français» en Syrie. Les deux frères de 23 et 30 ans, nés à Toulouse, se sont convertis à l'islam il y a quelques années, puis se sont radicalisés au point de vouloir mourir en martyrs là-bas. Le gouvernement français estime qu'au moins une cinquantaine de Français prennent part aux combats contre le régime de Bachar al-Assad aux côtés d'islamistes.

Au Mali

Gilles Le Guen, Français converti de longue date à l'islam, a été arrêté au Mali en avril dernier. Dans une vidéo mise en ligne à l'automne 2012, il lançait un avertissement sérieux aux présidents français et américain, ainsi qu'à l'ONU, contre une intervention militaire au Mali. Un autre djihadiste de nationalité française a été capturé au Mali en mars puis mis en examen en France pour «association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste».

PHOTO TIRÉE D'UNE VIDÉO, AFP

Gilles Le Guen