L’annonce du départ du premier ministre Ariel Henry, qui était critiqué de toutes parts en Haïti, marque un déblocage notable sur le plan politique, mais ne règle en rien le problème de sécurité posé par l’action de puissants gangs armés.

Pourquoi Ariel Henry était-il controversé ?

Le premier ministre avait pris de facto la tête du pays en 2021 à la suite de l’assassinat par un commando armé du président Jovenel Moïse et le gérait depuis sans avoir à composer avec le Parlement, qui n’était plus opérationnel. Sous sa gouverne, les gangs armés ont gagné en importance pour en arriver à contrôler près de 80 % de la capitale, Port-au-Prince. La colère de la population à ce sujet est venue s’ajouter aux critiques de partis politiques et de membres de la société civile qui lui reprochaient de ne pas avoir organisé comme prévu des élections en vue de quitter le pouvoir le 7 février.

PHOTO VICTOR MORIYAMA, ARCHIVES THE NEW YORK TIMES

Le premier ministre Ariel Henry, en 2021

Pourquoi s’est-il résigné maintenant à quitter le pouvoir ?

Ariel Henry soutenait qu’il était nécessaire de ramener le calme dans le pays avant d’envisager la tenue d’élections. Il était au Kenya pour formaliser l’envoi d’une force de sécurité internationale en Haïti lorsque les gangs armés se sont ligués pour prendre d’assaut de nombreux postes de police et bloquer l’aéroport dans le but déclaré d’empêcher son retour. Le premier ministre s’est retrouvé pris à Porto Rico pendant 10 jours sans perspective de retour. Lundi, plusieurs pays de la Communauté des Caraïbes (CARICOM) se sont réunis d’urgence en Jamaïque avec des représentants des États-Unis, de la France, du Canada et de la société haïtienne pour discuter d’une possible transition politique avant d’annoncer le départ du premier ministre. Velda Felbab-Brown, une analyste de la Brookings Institution, note que les États-Unis, qui soutenaient Ariel Henry, ont finalement conclu qu’il ne pouvait assurer la transition et l’ont lâché, le privant de son dernier appui d’importance. « Tout le monde en Haïti voulait qu’il parte », dit-elle.

Qui va le remplacer ?

Le président guyanais, Irfaan Ali, qui chapeaute actuellement la CARICOM, a déclaré qu’un « conseil présidentiel de transition » allait être formé en vue de désigner un nouveau premier ministre et de préparer ultimement la voie à la tenue d’élections, les dernières remontant à 2016. Le nouveau conseil, qui comprendra sept membres votants et deux membres non votants, regroupera des représentants des principaux partis politiques, du secteur privé et du groupe Montana, une coalition de la société civile. Les personnes aspirant à devenir président ne pourront y siéger. Ariel Henry a indiqué dans une vidéo adressée à la population que son gouvernement assurerait l’intérim et se retirera dès que le conseil aura été mis en place. Il a demandé dans l’intermédiaire aux Haïtiens « de rester calmes » et de « tout faire pour ramener la paix dans le pays ».

PHOTO RALPH TEDY EROL, REUTERS

Des résidants de Port-au-Prince font la queue pour obtenir de l’eau.

Est-ce que la situation sécuritaire va s’améliorer en raison du départ du premier ministre ?

Rien ne le garantit, puisque les gangs armés contrôlent aujourd’hui de larges pans du territoire, en particulier dans la région de la capitale, et n’ont aucune raison de battre en retraite sous prétexte qu’un déblocage se dessine du côté politique. Le conseil de transition doit élaborer un plan à court terme pour améliorer la sécurité, mais il a peu de chance de succès si la force internationale attendue n’est pas en mesure de tenir tête aux gangs et de contrôler le territoire repris, relève Mme Felbab-Brown. Le gouvernement kényan a déclaré mardi qu’il entendait attendre avant de déployer comme prévu un millier de policiers en Haïti en raison des soubresauts politiques compliquant la situation. Beaucoup d’incertitude demeure par ailleurs relativement au mandat des membres de cette force, qui devront, au dire de la chercheuse de la Brookings Institution, être dotés de capacités offensives importantes s’ils veulent pouvoir peser dans la balance sécuritaire. Jimmy « Barbecue » Chérizier, un puissant chef de gang, a déclaré qu’il ne reconnaîtrait pas un gouvernement issu de la rencontre politique survenue lundi, indiquait en ligne mardi une analyste de l’International Crisis Group, Renata Segura.

Peut-on espérer une amélioration de la situation pour la population ?

Les Haïtiens, en particulier les résidants de la capitale, ont été durement touchés par l’action des gangs, qui ont intensifié leurs attaques depuis la conclusion d’une alliance temporaire pour renverser le gouvernement d’Ariel Henry. Sandra Lamarque, qui coordonne les actions de Médecins sans frontières en Haïti, note que l’organisation a dû élargir considérablement ses installations à Port-au-Prince récemment pour faire face à l’afflux de blessés civils. « On voit beaucoup de femmes et d’enfants qui prennent des balles perdues », dit-elle. Près de 15 000 personnes ont été forcées de se déplacer dans les dernières semaines, poussant le total à près de 400 000 à l’échelle du pays. Beaucoup ont trouvé refuge dans des établissements mal adaptés, comme des écoles, ou se terrent dans leur maison et peinent à s’approvisionner. Le Programme alimentaire mondial prévenait mardi que plus de 1 million d’Haïtiens sont « à un pas de la famine ». Mme Lamarque a dit espérer que l’accord politique annoncé mardi mènera a minima au déblocage d’infrastructures critiques, comme le port par lequel doit passer la majeure partie de l’aide humanitaire.