Le nouveau drapeau officiel de la Martinique est loin de susciter l’adhésion de tous. Mais que vient faire le Québec dans cette histoire ?

Un nouveau drapeau martiniquais ? Ah bon. Il n’y en avait pas avant ?

Si, il y en avait déjà deux, même trois ! Mais aucun n’était officiel.

Trois drapeaux ? Mais dis donc, c’est une vraie collection ça ! Pourquoi autant ?

Raisons historiques.

Il y avait le drapeau bleu-blanc-rouge, la Martinique étant un département français.

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Le drapeau français

Il y avait aussi le drapeau noir-vert-rouge, utilisé depuis des siècles par les indépendantistes. Rouge pour la vie et la liberté, vert pour la nature et la fertilité. Noir pour rendre hommage « à tous ceux qui ont été bafoués ». Ces dernières années, ce symbole de la résistance est revenu en force lors de manifestations décoloniales, qui ont mené au déboulonnage de statues dans l’île.

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Le drapeau noir-vert-rouge martiniquais

Enfin, il y avait le « drapeau aux serpents ». Une croix blanche et quatre carrés bleus avec des serpents blancs au milieu. Drapeau controversé parce qu’il renvoyait à la période de l’esclavagisme. Mais il était jusqu’à tout récemment utilisé par la gendarmerie, et c’est encore celui qui apparaît sur l’internet quand on cherche un émoticône de la Martinique.

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Le « drapeau aux serpents »

Attendez… croix blanche, carrés bleu ciel avec quatre machins blancs au milieu… ça ressemble au drapeau du Québec, ça !

En effet… d’ailleurs, il paraît que plusieurs internautes québécois utilisent l’emoji martiniquais, le fleurdelisé n’étant toujours pas disponible sous cette forme. Au fait, petit message au dieu de l’internet, il serait peut-être temps, non ? Le drapeau du Québec existe quand même depuis 75 ans !

En effet. Mais revenons à nos moutons… Pourquoi changer de drapeau en Martinique ?

Parce qu’aucun ne faisait l’unanimité pour les représentations internationales. Le bleu-blanc-rouge continuera de flotter sur les bâtiments administratifs. Mais ce nouveau drapeau, légal, sera utilisé pour les compétitions sportives ou les rencontres culturelles.

Et comment il est, ce nouveau drapeau ?

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Le nouveau drapeau de la Martinique

Des bandes diagonales vert-rouge-noir avec un colibri noir au premier plan. Il a été choisi le 16 janvier à 73 % de majorité, après consultation populaire sur l’internet.

Un colibri ! Comme c’est mignon !

Ouais, bon. Ce n’est pas ce que tout le monde pense. Les critiques fusent sur les réseaux sociaux. On dénonce le côté futile de ce symbole doudouiste (cliché tropical de carte postale) et on remet en cause la plateforme qui a permis de voter, apparemment dysfonctionnelle.

« Le processus n’a pas été totalement démocratique », dénonce Myriam Moïse de la Fabrique décoloniale, une association d’intellectuels martiniquais située à Fort-de-France. « Il y a eu beaucoup de problèmes techniques, et on n’est pas certains que seulement des Martiniquais ont voté. D’ailleurs, peu de gens ont voté (35 000 personnes, soit 10 % de la population martiniquaise) ! Je crois que ça perd de sa légitimité. »

Par-dessus le marché : on accuse la conceptrice du drapeau d’avoir piqué son colibri dans une banque d’images et d’avoir plagié un ancien drapeau de carnaval.

Ouille. Il va falloir un peu de pédagogie pour faire accepter ce pauvre colibri.

En effet. Heureusement que les couleurs de l’ancien drapeau nationaliste sont toujours présentes. Pour de nombreux Martiniquais, elles sont vraiment ancrées dans l’histoire de l’île. Cela dit, ce n’est pas la première fois qu’un drapeau crée la bisbille en Martinique. En 2019, le président du conseil exécutif local avait choisi un nouveau pavillon, l’Ipséité, représenté par un coquillage. Mais il avait été invalidé par la justice à cause d’un vice de procédure. Il n’a pas vécu deux ans.

Bonyenne, une vraie saga, cette histoire de drapeau ! Est-ce qu’on n’aurait pas pu se contenter du bleu-blanc-rouge ?

Grands dieux non ! Pour la Martinique, il est crucial d’avoir son drapeau propre, reconnu à l’international. Cela s’inscrit dans une démarche décoloniale de fond. Le processus est entamé depuis le début des années 1980. En 2017, la France lui a accordé le statut de « collectivité territoriale », ce qui lui donne plus de compétences qu’un simple département. L’indépendance n’est pas au programme, mais l’île est depuis plusieurs années dirigée par des nationalistes et des autonomistes. « L’idée, c’est de rester dans la République française avec plus de pouvoirs et de dignité », résume Myriam Moïse. Dans la même optique, les Martiniquais viennent également d’adopter un hymne national officiel, la chanson Ansanm. Pas de problème sur ce front. Elle ne parle pas de colibris…