Le Chili entreprendra une vaste enquête pour retrouver la trace de 1162 personnes disparues sous le régime d’Augusto Pinochet qui, il y a 50 ans, avait pris le pouvoir par un coup d’État, a annoncé mercredi le président Gabriel Boric. Une annonce tardive, néanmoins bien accueillie par ceux ayant souffert des exactions commises sous ce régime dictatorial.

Ce qu’il faut savoir

  • 1469 personnes ont été portées disparues au Chili, vraisemblablement torturées et tuées, à la suite de la prise de pouvoir d’Augusto Pinochet, le 11 septembre 1973.
  • Les restes de 307 individus, se résumant parfois à quelques os, ont été retrouvés à ce jour.
  • Un demi-siècle plus tard, le Plan national pour la recherche de la vérité et de la justice tentera de faire la lumière sur le sort des 1162 personnes toujours portées disparues.

« L’État avait une dette morale envers le peuple. Ce nouveau plan national est donc fondamental, estime Geraldo Vivanco, président de l’Association des Chiliens du Québec, en entrevue avec La Presse. Le pouvoir en place va être en mesure de déterminer ce qui a mené à la disparition des opposants politiques durant la dictature. C’est nécessaire de faire connaître ces détails à l’ensemble de la société. »

Ses propos font écho à ceux de Gaby Rivera, présidente de l’Association des proches des détenus et des disparus, un organisme chilien. « Aucun autre gouvernement n’a eu la volonté politique nécessaire pour faire en sorte que cette épreuve ne concerne pas seulement les proches, mais la société dans son ensemble et l’État qui a fait disparaître nos proches », a-t-elle déclaré après l’annonce.

Celle-ci a été faite à quelques jours du 50e anniversaire (11 septembre 1973) du renversement du gouvernement socialiste de Salvador Allende par le général Augusto Pinochet avec la complicité de la CIA. On estime que dans les années subséquentes, quelque 40 000 personnes ont été torturées et 3200 assassinées ou portées disparues.

PHOTO MARTIN BERNETTI, AGENCE FRANCE-PRESSE

Luz Encina Silva, 94 ans, tient dans ses mains la photo de son fils Mauricio Jorquera, disparu le 5 août 1974 alors qu’il n’avait que 19 ans. Il est l’une des 1162 personnes pour lesquelles une enquête nationale vient d’être lancée.

Parmi ces victimes, 1469 personnes ont été portées disparues entre 1973 et 1990. Depuis, les restes de seulement 307 individus ont été retrouvés et identifiés. Tous les autres restent à retrouver. Le Plan national pour la recherche de la vérité et de la justice sera financé par l’État et tentera de déterminer l’histoire des derniers jours de ces personnes jamais revenues à la maison.

Pas unanimes

L’initiative du président Boric est cependant loin de faire l’unanimité au Chili, pays historiquement divisé, relève le cinéaste québécois d’origine chilienne Patricio Henriquez.

« Les familles des victimes accueillent bien la nouvelle et demandent depuis longtemps que justice soit faite, dit ce dernier en entrevue à La Presse. Elles forment une partie importante de la population. Mais il y a d’autres Chiliens, quand même nombreux, qui pensent qu’on devrait tourner la page et que ça ne vaut pas la peine d’ouvrir de vieilles blessures. Eux n’ont pas perdu grand-chose. »

PHOTO MARTIN BERNETTI, AGENCE FRANCE-PRESSE

Le président Gabriel Boric prononçant un discours lors de l’annonce du Plan national pour la recherche de la vérité et de la justice, mercredi

M. Henriquez était un jeune journaliste travaillant à Santiago au moment du coup d’État orchestré par Pinochet et, comme des milliers d’autres, il a été emprisonné. En 1974, il a quitté son pays pour le Québec.

« J’avais 22 ans quand Allende a été élu et on m’a demandé d’être l’attaché de presse de son épouse, indique M. Henriquez qui a déjà tourné un documentaire, Le dernier combat de Salvador Allende, sur ce moment historique dans l’histoire du Chili. J’ai fait ça durant un an, mais ce n’était pas pour moi. Je suis retourné travailler à la télévision. »

Le 11 septembre 1973, je n’ai pratiquement rien vu du coup d’État. C’était une opération militaire très bien organisée et des milliers de personnes ont été arrêtées et emprisonnées très rapidement.

Patricio Henriquez, cinéaste québécois d’origine chilienne

Croit-il que les immigrants chiliens au Québec peuvent participer aux efforts pour faire remonter la vérité à la surface ? « Je ne sais pas. Ça dépend de qui va pouvoir témoigner devant les tribunaux pour éclairer des zones très grises », répond-il.

Une importante partie de la vérité se cache aussi dans les archives militaires, poursuit M. Henriquez. « Ces archives ont été soit détruites, soit cachées. Mais elles n’ont jamais été remises entre les mains de la justice. »

C’est ce qu’affirme aussi Geraldo Vivanco. « C’est le pacte de silence des Forces armées [du Chili] qui a empêché de retrouver les disparus, dit-il. C’est grâce à la pression constante et indéfectible des organisations de défense des droits de la personne au Chili que le dossier a pu avancer et en arriver à la démarche actuelle du président Boric. »

Et les enfants…

Les États-Unis ont récemment levé le voile sur de nouveaux détails concernant leur participation au renversement de Salvador Allende. Le 25 août dernier, les Archives nationales des États-Unis ont par exemple rendu publiques les notes de breffage remises le matin du 11 septembre 1973 au président Richard Nixon.

PHOTO FOURNIE PAR LA NATIONAL SECURITY ARCHIVE

Les deux versions de la première page de la note de breffage du 11 septembre 1973, en 2016 et en 2023

Mais d’autres mystères restent à éclaircir comme les détails concernant l’enlèvement de quelque 25 000 enfants, souvent de familles pauvres chiliennes, pour être vendus « en adoption » à des familles américaines ou européennes, avec la bénédiction du régime Pinochet. Si certains ont été réunis avec leurs parents biologiques, bien des dossiers demeurent ouverts.

« On doit mettre tout cela en lumière », conclut Geraldo Vivanco.

En savoir plus
  • 37 ans
    Âge de l’actuel président du Chili, Gabriel Boric. Ce dernier occupe la fonction depuis le 11 mars 2022.
    site officiel du gouvernement du chili (gob.cl)
    Un devoir envers la société
    « Ce n’est pas une faveur pour les familles. C’est un devoir envers la société dans son ensemble que d’apporter les réponses que le pays mérite et dont il a besoin. »
    Gabriel Boric, président du Chili, cité dans le New York Times