Au moins 46 morts, des centaines de blessés, de nombreuses arrestations, un état d’urgence toujours en vigueur dans plusieurs régions : depuis le 7 décembre, les manifestations antigouvernementales se succèdent au Pérou. Mardi, avant un grand rassemblement prévu à Lima, la présidente Dina Boluarte a appelé à une « trêve nationale ».

Ce qu’il faut savoir

  • Une manifestation a rassemblé mardi des milliers de personnes à Lima.
  • Les manifestants réclament le départ de la présidente et la dissolution du Congrès.
  • La présidente péruvienne s’est adressée aux médias étrangers.
  • Les autorités péruviennes ont rapporté 85 routes bloquées par des barrages.

Le point de départ

Le 7 décembre, le Congrès péruvien, formé de 120 élus, devait voter sur la destitution de Pedro Castillo. Le président était accusé de corruption. En poste depuis juillet 2021, M. Castillo a décidé de dissoudre le Congrès avant ce vote, annonçant qu’il allait gouverner par décrets. Le geste a été dénoncé comme une tentative de coup d’État, entraînant sa destitution et son emprisonnement.

PHOTO JAVIER TORRES, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

Pedro Castillo, en novembre dernier, avant sa destitution

Son ancienne vice-présidente, Dina Boluarte, lui a succédé. Elle a vivement critiqué son prédécesseur, qu’elle a encore accusé, mardi, d’« irresponsabilité ».

Des manifestants ont rapidement pris la rue et des rassemblements ont tourné à la violence. Plusieurs dizaines de civils sont morts et des centaines d’autres ont été blessés. Les autorités ont rapporté la mort d’au moins un policier.

Violences

« Au centre-ville, la situation est tendue », dit au téléphone Stéphanie Rousseau, professeure titulaire de sciences politiques à l’Université catholique du Pérou, qui vit à Lima depuis 10 ans. « La manifestation de la semaine dernière était très mouvementée », ajoute-t-elle. Un bâtiment a notamment été incendié.

Cette semaine, près de 200 personnes ont été arrêtées sur un campus, avant d’être relâchées, pour la plupart.

Le gouvernement péruvien accuse les protestataires de « terrorisme ». Le droit international et la Constitution protègent le droit de manifester pacifiquement, rappelle Salvador Herencia Carrasco, candidat au doctorat à la faculté de droit de l’Université d’Ottawa. « Il y a eu un cas, par exemple, où un policier est mort brûlé dans sa voiture : les droits de la personne ne protègent pas ça, illustre-t-il. Il y a des allégations de vol et d’extorsion : les droits de la personne ne protègent pas ça. Mais si on regarde les morts, il y a plus de 46 civils tués directement dans des confrontations avec la police. Il y a des gens qui profitent des manifestations pour créer le chaos, oui, mais jamais assez pour dire que ce sont tous des terroristes. »

Demandes

Les manifestants revendiquent la dissolution du Congrès et le départ de la présidente Boluarte. Au départ, certains groupes demandaient également la restitution de l’ancien président. « Mais au fil du temps, c’est moins présent, note Mme Rousseau. L’ancien président n’avait pas nécessairement un grand appui populaire, mais il représentait des secteurs plus pauvres, plus ruraux, en tension constante avec une bonne partie du Congrès et des élites. » Ces derniers groupes n’ont jamais vu M. Castillo d’un bon œil, rappelle-t-elle, et c’est contre eux que les protestataires manifestent.

PHOTO CRIS BOURONCLE, AGENCE FRANCE-PRESSE

Dina Boluarte, nouvelle présidente du Pérou, mardi

« C’est très important qu’il y ait des élections très rapidement », souligne Cynthia McClintock, professeure de sciences politiques à l’Université George Washington. Les élections générales devraient être devancées de deux ans, à avril 2024. Une réforme récente empêche les congressistes d’exercer deux mandats consécutifs. Or, ces élus doivent approuver tout changement à la date du scrutin, qui leur ferait perdre leur poste, faute de pouvoir se présenter une seconde fois.

Inégalités

M. Herencia Carrasco avait prévu visiter sa famille à Lima pour les Fêtes. Il a atterri dans la capitale au lendemain de la destitution de Pedro Castillo. « Les manifestations ont commencé dans le sud du pays, mais à Lima, les choses étaient relativement normales, se souvient-il. D’une certaine manière, c’est un reflet des divisions qui existent au pays ; alors qu’il y avait un état d’urgence, des aéroports fermés, des routes bloquées, de la brutalité policière, à Lima, on pouvait vaquer à ses occupations. »

Les inégalités sociales sont importantes au Pérou et ont encore été exacerbées ces dernières années.

L’ancien président a été élu en mettant de l’avant la lutte contre la pauvreté. Il a lui-même grandi dans un milieu défavorisé. Positionné à gauche, il a été enseignant et militant syndical.

Polarisation

Les manifestations ont d’ailleurs l’appui de syndicats, de la plus grande association de Péruviens d’Amazonie, des Premières Nations et d’agriculteurs, même si aucun leader ne semble avoir émergé.

La semaine dernière, des milliers de personnes, principalement de régions pauvres des Andes, sont venues réclamer la démission de l’actuelle présidente dans les rues de la capitale, en disant vouloir « prendre Lima ». Ils ont repris la direction de la capitale, mardi.

La polarisation est importante au Pérou, rappelle Mme McClintock. « Le Congrès est un tiers à droite, un tiers au centre et un tiers à gauche », illustre-t-elle.

Avec l’Agence France-Presse et The New York Times

En savoir plus
  • 33,7 millions
    Population du Pérou
    Source : Banque mondiale (2021)