Le président Gustavo Petro aurait-il commis la première grosse erreur de son mandat ?

En Colombie, la « paix totale » n’est peut-être pas pour demain.

Trois jours après l’annonce d’un cessez-le-feu par le président Gustavo Petro, le plus important groupe de guérilla du pays, l’Armée de libération nationale (ELN), a démenti cette semaine toute forme d’accord, plongeant le pays dans la confusion et la crise politique.

« C’est un cafouillage que personne ne comprend très bien », résume le politologue Yann Basset, de l’Université du Rosario à Bogotá, étonné par la déclaration « précipitée » du chef de l’État.

Selon l’expert, cette erreur de communication pourrait « porter atteinte » aux négociations de paix entreprises à l’automne entre les deux parties, qui recommençaient tout juste à discuter après une cassure de deux ans.

Un style problématique

Le 31 décembre, à 22 h 45, le président Gustavo Petro annonce sur Twitter un cessez-le-feu « bilatéral » de six mois avec les cinq principaux groupes armés colombiens, dont l’ELN. Dans la foulée, l’ONU, l’Église catholique et les organismes de défense des droits de la personne se réjouissent publiquement de cette avancée diplomatique.

Mais l’annonce présidentielle sera contredite 72 heures plus tard par l’ELN, qui affirme n’avoir accepté aucune trêve ou même « discuté d’aucune proposition de cessez-le-feu bilatéral avec le gouvernement ». Malaise.

Le dirigeant est depuis resté silencieux sur les réseaux sociaux, tandis que le gouvernement tente de limiter les dommages, se voyant même contraint de « suspendre » officiellement une trêve qui n’en était pas une.

PHOTO RAUL ARBOLEDA, AGENCE FRANCE-PRESSE

Les ministres colombiens de l’Intérieur (au centre) et de la Défense (à droite) tiennent une conférence de presse en compagnie du haut-commissaire pour la paix (à gauche) pour annoncer la suspension du cessez-le-feu entre Bogotá et l’Armée de libération nationale (ELN), mercredi.

L’opposition de droite exploite de son côté la crise, accusant le gouvernement de Gustavo Petro, premier président de gauche de l’histoire de la Colombie, d’improviser et de mettre les Colombiens « en danger » avec des « mensonges ».

Yann Basset note que Petro, ex-maire de Bogotá (2012-2015) et ancien guérillero de surcroît (avec le M-19, de 1977 à 1990), n’en est pas à ses premières annonces « empressées » puis « démenties ».

« C’est quelque chose de fréquent chez lui. »

Mais il s’étonne que le chef de l’État ait agi si légèrement dans ce cas-ci, étant donné qu’il a fait de la « paix totale » l’une des priorités de son mandat, avec l’ambition de mettre un terme à un conflit de six décennies qui a fait environ 450 000 morts et 8 millions de déplacés en Colombie.

« Son style est problématique parce qu’il crée des expectatives qui ensuite ne sont pas respectées, souligne M. Basset. Mais là c’est quelque chose de grave. C’est sans doute la plus grosse erreur qu’a commise le nouveau président depuis son entrée en fonction. »

Difficile à négocier

Ce revers intervient alors que les deux parties ont repris en fanfare fin novembre à Caracas des négociations suspendues il y a deux ans par l’ancien gouvernement conservateur d’Iván Duque (2018-2022).

Certains estiment que le « cafouillage » de Gustavo Petro pourrait changer le rapport de force pour la suite des discussions, prévues à la fin du mois de janvier au Mexique.

Yann Basset doute en revanche que les pourparlers soient remis en cause. « Il y a une ouverture très claire pour ces accords, dit-il. Les acteurs sont tous très conscients que le contexte ne sera sans doute jamais aussi favorable », en raison, notamment, des inclinations politiques et du passé révolutionnaire de M. Petro.

PHOTO LEONARDO FERNANDEZ VILORIA, ARCHIVES REUTERS

Le commandant de l’Armée de libération nationale (ELN), Pablo Beltran, lors d’une conférence de presse sur les pourparlers de paix à Caracas, le 12 décembre dernier

Contrairement aux nombreuses organisations criminelles actives en Colombie, l’Armée de libération nationale a des origines idéologiques, ayant été fondée en 1964 par des prêtres qui souhaitaient libérer le pays par le marxisme.

Elle n’est pas aussi puissante que les FARC en leur temps (devenus un parti politique légitime depuis les accords de paix de 2016), mais demeure le plus important groupe armé du pays, comptant de 3000 à 5000 combattants, selon les estimations. En raison de sa structure horizontale et parce qu’elle est composée d’une multitude de groupuscules aux intérêts divers, cette nébuleuse rend cependant les négociations particulièrement compliquées.

Le « cessez-le-feu » annoncé par le président Petro concernait, outre l’ELN, les deux principales factions de la dissidence des FARC (la Segunda Marquetalia et l’état-major central), les AGC (milices d’autodéfense gaïtanistes de Colombie, paramilitaires d’extrême droite) et le Clan del Golfo, plus grand gang de narcotrafiquants du pays.

Avec l’Agence France-Presse