(Ciudad Juárez) Après une dangereuse odyssée, leurs espoirs d’entrer légalement aux États-Unis viennent de s’envoler : à la lisière avec le Mexique, des centaines de Vénézuéliens sont atterrés par la décision de la Cour suprême américaine, qui pourrait prolonger la fermeture officielle de la frontière.

« Nous sommes des êtres humains, nous sommes en chair et en os ! Comment expliquer cela aux juges et aux gouverneurs ? » tonne Juan Delgado.

Vêtu d’un simple pull, le trentenaire doit affronter le mercure avoisinant les 0 °C à Ciudad Juarez, une ville frontalière qui borde le mur longeant le Texas.

Comme lui, des milliers de migrants espéraient en finir avec l’application du « Title 42 », qui ferme depuis deux ans les postes-frontières aux personnes sans visa, y compris aux demandeurs d’asile.

Activée par l’ex-président Donald Trump au nom de la lutte contre la pandémie, cette mesure controversée devait initialement expirer mardi à minuit, après un long feuilleton judiciaire.  

Mais à la dernière minute, la Cour suprême a ordonné lundi de maintenir ces restrictions, le temps qu’un recours d’urgence déposé par une vingtaine de gouverneurs républicains soit examiné. Une décision qui ouvre la porte à une éventuelle prolongation du « Title 42 ».

« Pourquoi ne nous donnent-ils pas une chance ? », se désole M. Delgado auprès de l’AFP. « Ils nous traitent comme des criminels, alors que nous voulons juste travailler. »

A côté de lui, Edward Acevedo est abattu. Cet imbroglio judiciaire le plonge dans une « grande tristesse ». « Nous avons traversé la jungle, la faim et le froid. Beaucoup d’épreuves », souffle ce Vénézuélien de 41 ans, qui partage un abri de fortune avec des dizaines de compatriotes, dans la maison d’un pasteur.  

L’expiration de ce régime d’exception, « c’était la chance d’aller de l’avant pour tous les Vénézuéliens qui sont ici », regrette Angel Colmenares, après avoir fondu en larmes en apprenant la décision.

Face à la profonde crise politique et économique dans laquelle est enlisée le Venezuela, plus de 6 millions de Vénézuéliens ont quitté leur pays depuis 2015 selon l’ONU.

S’ils émigrent en majorité vers d’autres pays d’Amérique latine, nombre d’entre eux s’embarquent dans un dangereux périple, qui implique notamment de braver la jungle du Darien au Panama, pour atteindre les États-Unis.  

« Personne ne veut de nous »

À Ciudad Juarez, la misère dans laquelle subsistent les candidats à l’exil en dit long sur la détresse qui les meut. La plupart dorment à même le sol et allument des feux dans des poubelles pour se réchauffer.  

Malgré le froid, beaucoup tentent de traverser le fleuve Rio Grande, qui sépare le Mexique des États-Unis, avec leurs enfants sur les épaules. Les autres tentent de vendre des couvertures ou des gants pour survivre, quand ils ne se font pas kidnapper par les cartels.

« Nous sommes les oubliés, personne ne veut de nous », soupire un Vénézuélien, qui souhaite rester anonyme. « Où que nous allions, nous dérangeons. »

Pour tenter de diminuer cet afflux, Washington a lancé en octobre un programme humanitaire, qui prévoit d’accueillir un quota de 24 000 Vénézuéliens arrivant directement par avion.  

En contrepartie, ceux qui arrivent par la terre, et qui étaient auparavant exemptés du « Title 42 » à cause de la situation politique au Venezuela, subissent désormais cette mesure.  

Mais la plupart des migrants qui atteignent le mur frontalier refusent de faire demi-tour et optent pour la clandestinité.  

« Le salaire au Venezuela est de 20 dollars, et avec ça j’achète deux poulets, comment pouvez-vous vivre comme ça ? » reprend M. Acevedo, qui a laissé femme et enfant derrière lui.

À Ciudad Juarez, la barrière comporte de nombreux trous à travers lesquels se faufiler, comme sur les milliers de kilomètres qui longent le Texas, le Nouveau-Mexique, l’Arizona ou la Californie.

Les migrants qui la franchissent se rendent ensuite d’eux-mêmes aux garde-frontières, pour que leur cas soit examiné. S’ils sont autorisés à formuler une demande d’asile, ils sont alors relâchés dans l’attente d’une décision définitive.

Lundi, en l’espace d’à peine dix minutes, une équipe de l’AFP a vu cinq Vénézuéliens emprunter l’une de ces failles pour rejoindre la ville d’El Paso au Texas.

« Ils ne vont pas nous laisser entrer et je ne peux pas attendre plus longtemps », a expliqué l’un deux, en réclamant l’anonymat. « Ma femme est en train de mourir d’une tumeur et j’ai besoin d’argent pour son traitement. »