(Lima) Les manifestations, qui ne faiblissent pas au Pérou malgré l’annonce de la nouvelle présidente Dina Boluarte de vouloir avancer de 2026 à avril 2024 les élections générales, ont fait cinq nouveaux morts lundi, portant à sept le nombre de décès en deux jours.

Parmi ces sept victimes figurent trois adolescents de 15 et 16 ans.  

Quatre personnes, deux à Chincheros et deux à Andahuaylas, ont été tuées lundi dans la région d’Apurimac, lieu de naissance de Boluarte et où sont morts deux manifestants dimanche.

L’autre décès de lundi est survenu à Arequipa (sud), la deuxième ville du Pérou, lorsque la police est intervenue pour chasser de l’aéroport des centaines de manifestants qui avaient installé des barricades en feu sur la piste.

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Des milliers de personnes se sont mobilisées dans les rues de Cajamarca, Arequipa, Tacna, Andahuaylas, Cusco et Puno, selon les images diffusées par les chaînes de télévision locales.  

Pendant la nuit, Mme Boluarte – qui était vice-présidente jusqu’à son investiture le 7 décembre après la destitution du président Pedro Castillo –, avait tenté de faire baisser la pression en annonçant qu’elle allait négocier « un accord […] pour avancer les élections générales à avril 2024 », après la crise provoquée par la tentative ratée de M. Castillo de dissoudre le Parlement.

Elle a aussi déclaré l’état d’urgence dans les zones les plus affectées par les manifestations.  

Mais l’annonce n’a pas enrayé le mécontentement : de nouveaux barrages bloquaient lundi matin des routes dans la région de La Libertad (nord) et autour des villes de Trujillo (nord-ouest) ou Cusco (sud-est) où se trouve le célèbre Machu Picchu.

À Arequipa (sud), capitale de la région du même nom et deuxième ville du pays, quelque 2000 manifestants ont pénétré sur les pistes de l’aéroport, suspendant le trafic, avant d’être délogés par la police.

Le Haut-Commissariat de l’ONU aux droits de l’homme s’est dit « préoccupé par le fait que la situation pourrait s’aggraver davantage » et appelle « toutes les personnes concernées à faire preuve de retenue ».

Et les gouvernements de gauche du Mexique, de l’Argentine, de la Colombie et de la Bolivie ont apporté leur soutien au président déchu, estimant qu’il avait été victime depuis le début de son mandat en 2021 d’un mouvement « hostile et anti-démocratique ».

« Prisonnier politique »

À Lima, les avocats de l’ancien président Pedro Castillo ont pu s’entretenir avec leur client dans sa prison en périphérie est de Lima avant l’audience en appel mardi matin.

Me Ronald Atencio, l’avocat principal de l’ancien président, dit espérer obtenir la « libération immédiate » de son client, arrêté mercredi et en détention provisoire depuis jeudi pour sept jours. « C’est son droit. On espère que le pouvoir judiciaire se montrera à la hauteur des circonstances […] Le tribunal doit faire date, la décision (qu’il prendra) se lira pendant des années, on l’étudiera dans les écoles de droit ».

« La position du président, c’est qu’il est un prisonnier politique et il l’a dit à la Procureure », a ajouté l’avocat à la presse.

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La nouvelle présidente péruvienne, Dina Boluarte, et le nouveau premier ministre, Pedro Angulo

Haranguant les quelques partisans de l’ancien président présents, il a assuré que le « président n’était pas bien » et qu’il avait demandé « l’intervention de la Croix rouge ». Toutefois, plusieurs proches de M. Castillo se sont montrés rassurants sur son état de santé.

Samedi, Mme Boluarte avait formé un gouvernement au profil indépendant et technique, avec un ancien procureur, Pedro Angulo, comme premier ministre. Mais cela n’avait pas apaisé les tensions.

Les troubles se sont multipliés au cours du week-end, notamment dans le nord du pays et les régions le long de la Cordillère des Andes pour réclamer, outre de nouvelles élections et la démission de Mme Boluarte, la libération de l’ancien chef de l’État.

Des syndicats agraires et organisations sociales paysannes et indigènes ont appelé à une « grève illimitée » à partir de mardi.  

Lima a toujours tourné le dos à M. Castillo, enseignant rural et dirigeant syndical déconnecté des élites, soutenu par les régions andines depuis les élections remportées mi-2021.

Le 7 décembre, le président de gauche de 53 ans avait ordonné la dissolution du Parlement, quelques heures avant que celui-ci ne se réunisse pour débattre d’une procédure de destitution à son encontre, la troisième depuis son accession au pouvoir en juillet 2021.

Mais l’armée péruvienne, autrefois impliquée dans des coups d’État ou ayant soutenu des régimes autoritaires, n’a pas bronché. Le Parlement a peu après voté, à une large majorité, sa destitution pour « incapacité morale ».

Pedro Castillo a été arrêté quelques heures plus tard par son garde du corps alors qu’il se rendait à l’ambassade du Mexique pour demander l’asile politique. Il est poursuivi par le Parquet pour « rébellion » et « conspiration.