Menaces, violences, mort : à l’extérieur des zones de guerre, le Mexique est parmi les pays les plus dangereux au monde où exercer le métier de reporter. L’année 2022 a commencé d’une façon particulièrement brutale pour les médias mexicains. Au moins sept journalistes ont été tués en un peu plus de deux mois.

« Je ne sais plus comment réagir ; c’est tellement douloureux », confie au téléphone América Armenta, journaliste politique mexicaine à Noroeste, jointe par La Presse dans le cadre de la Journée mondiale de la liberté de la presse.

Chaque mort d’un confrère ou d’une consœur ravive la colère de la femme de 32 ans. Son propre patron et mentor, Javier Valdez, a été tué en 2017.

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Javier Valdez a été tué en 2017.

Ils travaillaient ensemble à Culiacán, dans l’État de Sinaloa, bien connu pour le cartel du même nom. M. Valdez écrivait sur le crime organisé et la violence dans la région.

Le meurtre n’a pas été résolu.

« Le facteur numéro un qui nourrit la situation actuelle est le taux très élevé et constant d’impunité au Mexique », précise au téléphone Jan-Albert Hootsen, représentant pour le Mexique du Committee to Protect Journalists (CPJ). Une fraction des crimes contre les journalistes mène à une condamnation.

La chose particulièrement inquiétante au Mexique, c’est que, contrairement à plusieurs autres pays dans le monde où la pointe de violence contre les reporters est généralement liée à une période spécifique dans le temps, au Mexique, la violence est constante. Et ça arrive dans un pays qui n’est pas techniquement en guerre.

Jan-Albert Hootsen, représentant pour le Mexique du CPJ

Le CPJ répertorie sept morts de travailleurs des médias depuis le début de l’année – six ont été abattus par balle et un a été poignardé. Une enquête est toujours en cours pour la moitié de ces meurtres afin de déterminer s’il y a un lien entre leur mort et leur profession.

Parce que la violence n’est pas exclusive aux membres des médias dans ce pays marqué par la corruption et où les narcotrafiquants se jouent des lois.

Les féminicides en sont un exemple. Un exemple, aussi, de la difficulté qu’ont les reporters à couvrir certains sujets, souligne Mme Armenta, lorsque des registres officiels pour enquêter sur la disparition de femmes sont inaccessibles ou que l’implication possible de criminels pousse des journalistes à s’autocensurer.

Le climat est tendu depuis des années pour les médias mexicains, mais l’arrivée au pouvoir en 2018 du président Andrés Manuel López Obrador, avec ses discours populistes et antimédias, n’a rien fait pour calmer le jeu.

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Andrés Manuel López Obrador, président du Mexique

« En gros, le gouvernement de López Obrador ne persécute pas activement les journalistes, mais il fait vraiment un travail lamentable pour poursuivre ceux qui le font », note M. Hootsen.

Même à Cancún

Même la ville de Cancún, connue des Québécois pour ses plages et ses activités touristiques, n’a pas échappé à la violence, et une tentative de meurtre contre le directeur de la publication web CGNoticias a été signalée en février.

« Je suis en colère contre tout ce qui se passe dans le pays et je suis inquiète, dit au téléphone Fernanda Duque, journaliste jointe à Cancún. J’ai peur que ça devienne plus courant et que ça puisse m’affecter dans les prochaines années. »

La femme de 32 ans couvre notamment la santé et l’éducation au Novedades Quintana Roo. Elle s’est jointe à un groupe de journalistes de la région pour demander aux instances politiques de garantir la liberté de la presse et pour dénoncer les conditions de travail des journalistes.

Parce que, dit-elle, la violence est également « économique » : les modalités offertes par certains médias sont aussi une source de questionnement pour elle sur l’avenir de la profession.

Les prochaines élections en juin pour nommer le gouverneur de l’État de Quintana Roo la rendent nerveuse. « C’est toujours une période dangereuse pour les journalistes au Mexique parce que les politiciens essaient constamment de nous faire écrire ce qu’ils veulent, de nous faire sentir pas en sécurité », ajoute celle qui travaille dans la profession depuis environ une décennie.

América Armenta garde un souvenir fâcheux de sa dernière couverture d’élections, l’an dernier. Elle travaillait alors sur une histoire de corruption. Le lendemain de la publication de l’article, quelqu’un s’est introduit dans son domicile pour voler son ordinateur, sa tablette et ses clés USB, raconte-t-elle.

« Je ne vis plus au même endroit, ajoute-t-elle. Je ne dormais plus. »

Malgré tout, elle n’a aucune intention de changer de profession.

« C’est important, c’est ce que j’aime, c’est ce que je fais », affirme-t-elle.

Au Mexique, la liberté de la presse est soulignée le 7 juin – 7 de junio. C’est le nom de l’association de journalistes avec laquelle Mme Armenta manifeste de temps à autre pour défendre sa profession. « Nous prenons l’espace public chaque fois que nous pensons qu’il le faut, dit-elle. Nous sortons pratiquement toujours quand un journaliste est fait martyr. »

En savoir plus
  • 26
    Nombre de journalistes tués dans le monde en 2022
    source : CPJ
    293
    Nombre de journalistes emprisonnés en 2021
    source : CPJ