(Rio de Janeiro) Le carnaval de Rio a livré un spectacle féérique pour sa première nuit, la liesse et la magie du défilé devant faire oublier deux années de tragédie due à la COVID-19 qui a saigné le Brésil.

Rattraper le temps perdu, rattraper la joie perdue, tel était le désir des quelque 20 000 danseurs et percussionnistes des six écoles de samba qui ont défilé avec ferveur au sambodrome et des 75 000 spectateurs qui se sont époumonés dans les gradins à leur passage.

« Le carnaval nous a tellement manqué, quelle énergie il va y avoir », avait prédit avant de défiler dans la nuit de vendredi à samedi Tita Nunes, une Brésilienne de 31 ans, en référence à l’annulation des festivités en 2021.

« Après toute cette tragédie, nous devons célébrer la vie », a dit elle aussi Thelma Fonseca, sourire éclatant et costume de paillettes, danseuse de l’école Imperatriz.

« Cela fait deux ans que nous attendions ce carnaval. Nous sommes très heureux », a ajouté cette employée de 43 ans.

Six écoles de samba ont arpenté, une heure durant, les 700 mètres du sambodrome, dans une orgie de plumes, paillettes, percussions et danses endiablées. Elles ont défilé avec des chars allégoriques hauts comme des immeubles de plusieurs étages, parfois stupéfiants.

Six autres défileront pour la deuxième nuit de carnaval, jusqu’à l’aube dimanche. Le titre de championne couvrira la meilleure école de samba de gloire.

L’annulation du carnaval l’an dernier avait été vécue comme un drame national par les Brésiliens, tant il est dans l’ADN de tout un peuple fou de samba.  

Mais il y a un an, la COVID-19 faisait 3000 morts par jour au Brésil, contre 100 aujourd’hui. Le sambodrome avait été reconverti en centre de vaccination.

La pandémie a fait du Brésil le deuxième pays le plus endeuillé au monde derrière les États-Unis, avec plus de 660 000 morts.  

« Justice » et « inclusion »

Comme de coutume, les écoles de samba, la plupart issues des favelas, ont abordé dans leurs défilés des thèmes politiques.

Huit des 12 écoles devant se produire lors des deux nuits ont choisi de représenter la lutte antiraciste et les racines africaines de la samba.

Troisième école à défiler aux premières heures de samedi, Salgueiro a présenté avec quelque 3000 danseurs et percussionnistes son spectacle en forme de coup de poing, « Résistance », inspiré du mouvement de contestation « Black Lives Matter » qui a secoué les États-Unis.

Sur des chars somptueux, des danseurs se sont déhanchés devant des pancartes : « La liberté vient des personnes noires » ou « Justice » et « Inclusion ».

Sous le gouvernement de Jair Bolsonaro « le racisme est plus humiliant, parce qu’il vient d’en haut », dit Claudia Nascimento – qui a défilé avec Salgueiro – en référence au président d’extrême droite connu pour ses saillies racistes.

En choisissant pour thème le carnaval de 1919, organisé après la terrible grippe espagnole, l’école Unidos do Viradouro a métaphoriquement évoqué cette édition 2022 de renaissance post-COVID-19.

La fête que tous attendaient a été endeuillée par la mort vendredi d’une fillette de 11 ans, écrasée deux jours auparavant par un char à la sortie du sambodrome.  

« Sans le carnaval, Rio ne serait pas Rio », avait exulté mercredi son maire et premier fan, Eduardo Paes, en déclarant ouvert « le plus grand spectacle de la Terre ».

En dehors de la liesse, le carnaval apporte une manne à la « Ville merveilleuse », où il génère 45 000 emplois et 4 milliards de réais (environ 800 millions d’euros) de revenus.  

En 2020, Rio avait reçu plus de 2,1 millions de touristes. Cette année, même si les étrangers sont moins nombreux, l’hôtellerie, sinistrée par la COVID-19, se réjouit d’un taux d’occupation de 85 %.

Critiques contre Bolsonaro

Proche des évangéliques qui n’apprécient pas la débauche sensuelle du carnaval, le président Jair Bolsonaro n’aime pas la fête carioca. Et celle-ci le lui rend bien.  

Dans les travées, on a pu voir des spectateurs exhiber de grands tissus jaunes avec le portrait du président bâillonné au-dessus duquel on lisait « Fora ! » (« dehors ! »).

« Le carnaval c’est une manifestation politique et antifasciste », a déclaré Nairobi Coelho, 43 ans, administratrice dans le secteur pétrolier, qui a défilé.

« Après deux ans d’isolement (ce carnaval) à un goût spécial, celui d’une victoire de la science qui a mis au point un vaccin contre le virus et de l’espoir d’un changement de gouvernement en cette année électorale », explique-t-elle. A la présidentielle d’octobre,  Bolsonaro tentera d’être réélu.