(Bogota) La douleur n’a pas disparu avec sa libération : 13 ans plus tard, la Franco-Colombienne Ingrid Betancourt confie à l’AFP qu’elle souffre toujours des conséquences de ses six années de captivité (2002-2008) et réclame une « peine exemplaire » contre les responsables de l’ex-guérilla des FARC.

Mercredi, l’ex-candidate à la présidentielle de 59 ans, qui vit désormais entre la France et le Royaume-Uni, a été confrontée pour la première fois aux ex-commandants de la guérilla marxiste des Forces armées révolutionnaires de Colombie, dans le cadre de la Commission de la vérité prévue par l’Accord de paix de 2016.   

Quelle séquelle de votre prise d’otage vous affecte le plus ?

« La souffrance de mes [deux] enfants, c’est une douleur permanente. Chaque fois qu’il y a des tensions dans la famille, la douleur de l’enlèvement refait immédiatement surface, l’impossibilité de remplir le vide de ce temps et de cette distance où nous n’étions pas ensemble […]. Les discussions sont tendues parce qu’à chaque fois que nous nous séparons, que quelqu’un prend l’avion, que nous devons formaliser un voyage, il y a l’angoisse de la séparation, parce que d’un certain voyage, je ne suis pas revenue. Et c’est quelque chose qui, pour eux, est encore une expérience très dure. Je pense que personne ne peut comprendre ».  

Quelle réparation espérez-vous ?

« J’estime que j’aurais reçu réparation le jour où en Colombie nous pourrons sortir dans la rue sans peur, parler comme nous le voulons sans être accusés, le jour où il n’y aura pas de polarisation [politique], où le fait de penser différemment ne sera pas un crime […] En attendant, moi, tous mes compagnons qui ont été enlevés et les victimes des FARC, nous voulons que ce processus mène à une paix sans impunité. Ça, c’est important pour nous. Nous acceptons qu’ils n’aillent pas en prison s’ils disent toute la vérité. C’est un engagement que nous avons pris. Mais dans le cadre des pouvoirs du Tribunal de paix de prononcer des peines et des condamnations, il y a une marge pour qu’il y ait des peines avec une privation de liberté […]. Je pense qu’il est important que nous ayons des peines exemplaires et ce n’est pas avec un esprit vindicatif, pas du tout. Je ne veux pas qu’ils aillent en prison, ça ne m’intéresse pas, ça ne changera pas ma vie, mais ça changera ma vie de savoir que les Colombiens arrêtent de banaliser la violence ».  

PHOTO ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

Ingrid Betancourt en détention

Quel type de condamnation souhaitez-vous ?

« Je pense qu’il faut que cela soit une condamnation avec une privation de liberté. Pas en prison, mais avec des restrictions de mobilité dans leur maison ou dans l’espace où ils vivent. Qu’ils sentent qu’ils sont limités dans leur vie à cause de ce qu’ils ont fait. Pour moi, honnêtement, quand on me dit qu’il peut y avoir d’autres “ condamnations réparatrices ”, alors, quoi, ils vont planter des arbres ? Non, non merci. Jardiner pour ce qu’ils nous ont fait ? Non. »

Comment voyez-vous aujourd’hui ceux qui ont été vos bourreaux ?

« Je pense qu’ils ont accompli un bout du chemin — que je reconnais — pour sortir de cette dynamique dans laquelle ils pensaient “ nous nous battions pour le peuple et ce que nous avons fait, nous l’avons fait parce que nous avions une idéologie juste ” […] Mais il est clair qu’à l’intérieur de la guerre, dans les situations les plus aberrantes de la guerre, ce qu’ils nous ont fait subir ça ne se fait pas, ce n’est pas permis, c’est un crime de guerre et un crime contre l’humanité. Je pense que c’est quelque chose qu’ils ont encore du mal à envisager, mais au moins ils veulent le reconnaître. […] Là où j’ai l’impression qu’ils n’ont pas avancé, c’est dans le fait de relier les émotions à la tête. Je pense qu’ils ont une difficulté à ressentir et c’est une difficulté qui, je pense, est liée à leur exercice de chef de guerre […] J’ai pu voir que leurs émotions sont encore totalement figées ».