(Bogota) Le président colombien Ivan Duque a remis au secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, un dossier avec des « preuves » de la présence de guérilleros de l’ELN au Venezuela, mais contenant de fausses informations pour au moins deux des photos présentées, a vérifié l’AFP.

Le chef de l’État a posté un tweet accompagné d’images de rebelles présumés de l’ELN au Venezuela, qu’il a remises jeudi à M. Guterres, dont une montrant des guérilleros procédant à l’« endoctrinement » d’élèves d’« écoles rurales » de l’État vénézuélien de Tachira, selon lui en avril 2018.

Sur la photo apparaissent des hommes et des femmes en tenue de camouflage, armés, portant des brassards aux couleurs rouge et noir de l’Armée de libération nationale (ELN) et faisant la ronde avec au moins onze enfants.

Mais le quotidien El Colombiano de Medellín (nord-ouest) a précisé que cette image lui avait été remise en 2015 par des membres du renseignement militaire, selon lesquels il s’agissait de guérilleros en train de recruter des enfants à El Tambo, dans le département du Cauca, sur la côte Pacifique colombienne, à près de 1200 km de Tachira.

Le journal a publié la photo le 7 juin 2015 avec un reportage sur le recrutement de mineurs par les rebelles, selon son site web.

« Cette information n’est pas sur l’ELN au Venezuela, c’est dans le Cauca. Nous l’avons obtenue en exclusivité en 2015 dans le Cauca. C’est le renseignement qui nous l’a remise », a déclaré à l’AFP Javier Alexander Macias, éditeur de la section Paix et Droits humains d’El Colombiano et auteur de l’article.

Ce journaliste et une équipe du journal se trouvaient alors à El Tambo pour faire un reportage sur le recrutement de mineurs par les guérillas de l’ELN et des Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC), depuis désarmées après avoir signé la paix en 2016.

Contactée par l’AFP, une source du palais présidentiel a indiqué jeudi soir qu’une enquête était en cours, tout en maintenant que la photo contestée avait été prise dans l’État du Tachira, mais en 2013.

L’AFP n’a pu confirmer de manière indépendante le lieu de la photo. Mais par une recherche inversée, l’agence a vérifié que l’image a été publiée pour la première fois le 7 de juin 2015 par El Colombiano.

Vendredi, le président Duque, en visite aux États-Unis, a affirmé que c’était « une photo de contexte » et qu’elle était « anecdotique au sein du dossier ».

Par ailleurs, les documents remis à M. Guterres font état d’un « massacre » commis dans l’État vénézuélien de Bolivar en octobre 2018 lors d’« affrontements » entre l’ELN et des « pranes », nom donné aux membres de gangs vénézuéliens.

Cette information est illustrée par la photo d’une cabane en bois portant le sigle de l’ELN. L’image a en fait été prise dans la région colombienne du Catatumbo, frontalière du Venezuela, par un photographe de l’AFP.

« J’ai pris cette photo le 20 septembre 2018 lors d’un reportage dans la région du Catatumbo », a précisé ce photographe, Luis Robayo.

La porte-parole du ministère de la Défense a présenté des excuses à l’AFP vendredi par téléphone, ajoutant que deux autres photos de l’agence figurent dans le dossier, qui n’a pas été rendu entièrement public.

L’une, également de Luis Robayo, « représente une fille dans les rangs de l’ELN », l’autre du photographe Raul Arboleda montre des dissidents des FARC.  

Elle a admis que les trois photos de l’agence ont été prises en Colombie et non au Venezuela et précisé que le dossier remis à l’ONU allait être complété avec les informations correctes.

Depuis l’ex-président Alvaro Uribe (2002-2010), mentor de l’actuel chef de l’État, Bogota accuse le Venezuela de prêter refuge aux guérilleros et aux narcotrafiquants colombiens.

A l’Assemblée générale de l’ONU, Ivan Duque a appelé à agir contre le soutien de Caracas à ces groupes armés, en présentant ce dossier de 128 pages avec des « preuves solides ».

Le président vénézuélien Nicolas Maduro nie les accusations de Bogota et a rompu les relations diplomatiques avec le pays voisin en février, après que son homologue colombien eut reconnu l’opposant Juan Guaidó comme président par intérim.