Alors que les députés l'avait approuvée, le Sénat a rejeté jeudi la légalisation de l'interruption volontaire de grossesse (IVG), une revendication qui s'est heurtée à la résistance de l'Église, puissante, au pays du pape François.

Quelques heures après l'échec du projet de loi, le gouvernement argentin a souligné qu'un effort allait être fait sur la prévention.

«Le débat va continuer, a-t-il assuré. Le problème est là, et nous devons continuer de travailler pour que toutes les femmes aient la possibilité de choisir et de planifier leur vie», a assuré le président argentin de centre-droit, Mauricio Macri.

Le chef de l'État a annoncé que l'éducation sexuelle serait renforcée dans les écoles. Elle y est théoriquement obligatoire, mais la mesure n'est pas appliquée.

Par 38 voix contre 31, le Sénat a rejeté jeudi à l'aube le projet de loi, après son adoption en juin par la chambre des députés.

«La lutte continue»

Le débat sur l'avortement a profondément divisé la société argentine et l'Église s'est fortement mobilisée contre le projet de loi, du Vatican aux paroisses des 24 provinces d'Argentine.

Les partisans des deux camps, séparés par des policiers, étaient présents devant le Congrès à Buenos Aires pendant la session parlementaire.

Les groupes anti-IVG ont salué la décision avec des feux d'artifice.

À l'autre extrémité de la place, des milliers de militantes féministes, mobilisées depuis des mois voire des années, ont accusé le coup à l'annonce des résultats. Certaines étaient désolées, pleuraient, d'autres réaffirmaient leur engagement en faveur de leur cause.

«On va continuer de se battre, comme on le fait depuis de nombreuses années», assure Sofia Spinelli, 26 ans.

«On a vécu des journées historiques. Au début, nous étions nombreuses, mais pas autant. On a gagné dans la rue, mais la représentation politique n'est pas fidèle à ce qui se passe dans la rue», déplore-t-elle.

Pas de référendum

Mauricio Macri, opposé à l'Interruption volontaire de grossesse (IVG), a impulsé le débat sur l'avortement au parlement, une première dans l'histoire du pays sud-américain. Avant cela, les tentatives précédentes d'engager un débat au Congrès avaient été bloquées par les parlementaires, sans qu'un vote puisse intervenir.

Alors qu'un député de la coalition gouvernementale Cambiemos (Changeons) avait mentionné l'idée d'un référendum, le chef du gouvernement Marcos Pena a réaffirmé que le débat continuerait dans un cadre parlementaire.

M. Peña a rappelé que le 21 août, l'exécutif allait envoyer au parlement une réforme du Code pénal.

Il n'a pas donné de précisions, mais ce sera probablement l'occasion de dépénaliser l'avortement, car il existe un consensus sur ce point. Aujourd'hui en Argentine, une femme qui avorte court le risque d'être emprisonnée.

L'ex-présidente Cristina Kirchner estime que «le plus grave, c'est que nous rejetons un projet sans proposer d'alternative, et la situation restera la même». Mme Kirchner a voté «oui» au texte jeudi, alors qu'elle avait torpillé toutes les initiatives quand elle était au pouvoir.

D'après les estimations, 500 000 avortements sont pratiqués chaque année en Argentine, dans des cliniques privées ou dans des conditions d'hygiène très précaires en fonction de la situation économique.

«Tôt ou tard»

«L'avenir n'est pas au «non». Tôt ou tard, les femmes obtiendront la réponse nécessaire. Plus tôt que tard, le «oui» s'imposera», a estimé le sénateur Miguel Angel Pichetto, favorable à l'IVG.

Pour Amnesty International, l'Argentine passe à côté «d'une opportunité historique pour le droit des femmes».

L'Église et les organisations anti-IVG savouraient jeudi leur victoire.

«La démonstration est faite, l'Argentine est pro-vie pour toujours, nous sommes ici pour défendre la vie, pour défendre l'enfant», témoigne Mariana Rodriguez Varela.

L'évêque Alberto Bochatey, chef de file de la mobilisation anti-IVG pour L'Église, se garde de tout triomphalisme. «Ce vote du Sénat nous donne un temps de réflexion pour faire des propositions humanistes dans le cadre de grossesses de femmes en difficulté. Il n'y a ni vainqueur ni vaincu», dit-il.

Le prélat qualifie de «moderne» la position du mouvement anti-avortement et lui oppose les pratiques abortives, selon lui «de vieilles lois du siècle passé» qui doivent être remplacées par des «propositions du 21e siècle et pas des vieilles propositions de mort du XXe siècle».