La Commission interaméricaine des droits de l'homme (CIDH) a dénoncé vendredi « l'action répressive de l'État » au Nicaragua, responsable selon elle d'au moins 212 morts en deux mois de manifestations contre le président Daniel Ortega.

« L'action répressive de l'État a fait au moins 212 morts au 19 juin et 1337 blessés », a indiqué la commission, en affirmant que plus de 500 personnes avaient été détenues au 6 juin.

Dans un rapport très attendu présenté lors d'une session extraordinaire du Conseil permanent de l'Organisation des États américains (OEA), à Washington, la CIDH a conclu que « la violence étatique visait à dissuader la participation aux manifestations et à étouffer cette expression d'opposition politique ».

Ce nouveau bilan est publié à l'issue d'une semaine de violents assauts des forces de l'ordre pour reprendre le contrôle de plusieurs villes du pays dont Masaya, à 35 kilomètres au sud de Managua, déclarée lundi en rébellion par ses habitants.

Vendredi la commune de 100 000 habitants, assiégée ces derniers jours par des groupes paramilitaires fortement armés, s'est réveillée dans un calme relatif, fruit de la réunion la veille entre le commissaire de police Ramon Avellan et les évêques catholiques, venus en urgence « pour éviter un nouveau massacre ».

Libérations attendues

Le commissaire a promis des libérations de personnes arrêtées dans le cadre de cette vague de protestation, qui a démarré le 18 avril et cible le chef de l'État Daniel Ortega et son épouse Rosario Murillo, vice-présidente, accusés de confisquer le pouvoir et de brider les libertés.

« Nous attendons qu'ils nous remettent les personnes arrêtées à Masaya et dans des villes voisines, nous ne savons pas combien il y en a », a déclaré à l'AFP Alvaro Leiva, secrétaire de l'Association nicaraguayenne pro droits de l'homme (ANPD).

Les évêques, accueillis jeudi par des milliers d'habitants dans les rues de Masaya, et l'ANDP ont également entamé des démarches pour obtenir la libération des jeunes manifestants détenus dans la prison El Chipote, dans le centre de Managua.

« Nous, les mères, nous avons le coeur brisé. Libérez nos garçons », lançait vendredi matin une femme désespérée face aux portes de la prison.

Le cardinal Leopoldo Brenes, à la tête de la mission des évêques avec le nonce apostolique Waldemar Stanislaw, a dit espérer que le commissaire Avellan respecte son engagement de « suspendre toute persécution » contre la ville de Masaya et de libérer les détenus.

Mais des milices progouvernementales - des hommes cagoulés et fortement armés - continuaient vendredi de surveiller les accès à de nombreuses villes du pays et de démonter les barricades érigées par les habitants.

Pression internationale

Le rapport de la CIDH est crucial avant la reprise, programmée la semaine prochaine, du dialogue entre gouvernement et opposition, à l'appel de l'Église, qui agit comme médiatrice.

La CIDH s'est fondée sur la visite de sa délégation au Nicaragua - autorisée par le gouvernement - entre le 17 et le 21 mai, qui lui a permis de recueillir de nombreux témoignages.

« Nous, nous connaissons la situation, mais ce rapport servira pour éclairer » les discussions entre les autorités et l'Alliance civique pour la justice et la démocratie, a indiqué le cardinal Brenes.

L'Église appelle le président Ortega - un ex-guérillero de 72 ans au pouvoir depuis 2007 après l'avoir déjà été de 1979 à 1990 - à permettre l'organisation d'élections générales anticipées en mars 2019 (au lieu de fin 2021).

Ce dernier reste muet sur ce point, mais il est soumis à une pression internationale croissante : son gouvernement « doit mettre un terme immédiatement à sa campagne de violence et d'intimidation contre son propre peuple », a affirmé jeudi l'ambassadrice américaine à l'ONU, Nikki Haley.

« Pendant que la CIDH présente ses conclusions à Washington, des policiers et des bandes armées progouvernementales continuent d'assassiner les manifestants en toute impunité dans les rues du Nicaragua », a averti José Miguel Vivanco, directeur pour les Amériques de l'ONG Human Rights Watch.

Tout en exigeant que « cesse la répression », Amnestie internationale a souligné que « le gouvernement ne peut pas continuer à demander un dialogue et en même temps commettre de sérieuses violations des droits de l'Homme et des crimes ».

Photo Marvin Recinos, Agence France-Presse

La vague de contestation, engagée pour dénoncer une réforme de la sécurité sociale qui a depuis été abandonnée, cible le chef de l'État Daniel Ortega et son épouse Rosario Murillo, vice-présidente, accusés de confisquer le pouvoir et de brider les libertés.