Stimulée par des prix défiant toute concurrence au Venezuela, la contrebande est inévitable avec la Colombie voisine, estiment plusieurs analystes au lendemain de la fermeture, pour une durée «indéfinie», d'une partie de la frontière.

La décision a été prise de manière unilatérale par Caracas après une embuscade dans le nord-ouest du pays contre une patrouille luttant contre la contrebande, dans laquelle trois militaires et un civil ont été blessés.

Cette mesure n'est pas inédite: en août 2014, le Venezuela avait déjà appliqué une fermeture, la nuit, pour lutter contre le trafic d'essence et d'aliments.

Les deux pays partagent une frontière poreuse de 2219 kilomètres, où se multiplient les activités de guérilleros, de paramilitaires, de trafiquants de drogue, mais aussi de nombreux contrebandiers.

«C'est le gouvernement (vénézuélien) qui est responsable directement» de cette situation, affirme l'économiste Luis Vicente Leon, directeur de la société d'études Datanalisis.

«Il a un modèle de contrôle, tant du change que des prix, qui crée une motivation» pour la contrebande, ajoute-t-il.

Les généreuses subventions publiques, pour imposer des «prix solidaires» aux produits de première nécessité, entraînent d'énormes différences de tarifs entre la Colombie et le Venezuela.

Ce dernier, qui dispose d'un quart des réserves pétrolières prouvées de la planète, selon l'OPEP, offre par exemple l'essence la moins chère au monde.

«L'équivalent d'un camion-citerne rempli d'essence coûte moins de sept dollars au Venezuela, et à Cucuta (ville colombienne proche de la frontière, NDLR), 25 000 dollars» explique Luis Vicente Leon: faire passer en douce en Colombie des marchandises vénézuéliennes pour les revendre, «c'est beaucoup plus rentable que le narcotrafic».

Quant aux produits de base comme le lait, le sucre ou le papier toilette, leurs prix peuvent être multipliés par dix d'un pays à l'autre.

Réunion ministérielle mercredi

Cette contrebande aggrave la pénurie au Venezuela, où deux tiers des produits de première nécessité manquent, dans un contexte de chute des cours du pétrole, principale source de devises pour le pays, qui en a besoin pour financer ses importations.

Pour l'analyste Carlos Romero, la contrebande profite du laxisme des forces de l'ordre à la frontière et du manque de coopération entre les autorités des deux pays.

«La séparation opérationnelle entre les deux gouvernements a créé la possibilité pour le crime organisé d'aller et venir d'un pays à l'autre», entraînant une «aggravation de la violence» dans la zone frontalière, remarque-t-il.

Samedi, le président colombien Juan Manuel Santos a déploré la décision de Caracas, plaidant justement pour plus de collaboration.

«Même si c'est pour des questions de sécurité, la réponse ne devrait pas être de fermer la frontière. Il faudrait plutôt collaborer de manière plus efficace avec les autorités colombiennes», a-t-il déclaré, assurant que les deux pays ont «les mêmes objectifs: nous cherchons à éliminer, mettre hors jeu ces bandes criminelles qui se consacrent à la délinquance à la frontière».

Mercredi, les ministres des Affaires étrangères du Venezuela, Delcy Rodriguez, et de Colombie, Maria Angela Holguin, se réuniront pour définir les moyens de «rétablir la normalité, la paix et la légalité» à la frontière, a promis samedi le président vénézuélien Nicolas Maduro.

Le dialogue pourrait aider à créer un «cadre de coopération», espère Carlos Romero, estimant que fermer la frontière «ne contribue en rien à la paix et à la démocratie».

Ce nouvel épisode de tension sur cette question survient à un moment crucial pour le Parti socialiste unifié du Venezuela (PSUV) au pouvoir, qui affronte le 6 décembre des élections législatives dans lesquelles l'opposition part largement favorite, situation inédite depuis la première élection du défunt président Hugo Chavez, fin 1998.

«Ces mesures arrivent à point nommé dans une campagne électorale, comme pour faire diversion», observe malicieusement Luis Vicente Leon.

Carlos Romero, lui, énumère tous les sujets de diversion abordés ces derniers mois par Nicolas Maduro: «Nous avons vu comment il a exploité le thème de la relation avec les États-Unis, puis celui du Guyana (avec lequel le Venezuela a un différend maritime, NDLR). Maintenant c'est le tour de la Colombie».