John Kerry a rendez-vous avec l'Histoire à Cuba: il sera vendredi le premier chef de la diplomatie américaine depuis 1945 à se rendre à La Havane pour consacrer le rétablissement des relations diplomatiques entre les deux ex-ennemis de la Guerre froide.

Cette visite d'une dizaine d'heures, aussi historique que symbolique, doit également permettre d'aborder les sujets qui fâchent entre deux voisins qui ne se sont officiellement pas parlés pendant plus d'un demi-siècle: protection des droits de l'homme et des dissidents politiques -- John Kerry a annoncé qu'il en rencontrerait certains -- ainsi que levée de l'embargo économique que Washington impose à l'île communiste et restitution de la base navale américaine de Guantanamo.

Le secrétaire d'État américain doit passer toute la journée à La Havane pour rouvrir officiellement l'ambassade des États-Unis et hisser le drapeau devant la chancellerie. Une cérémonie officielle en grande pompe qui réunira les deux gouvernements et des élus du Congrès américain.

Clin d'oeil de l'Histoire: les trois Marines, qui avaient abaissé le drapeau américain lors de la rupture des relations diplomatiques en janvier 1961, auront l'honneur de remonter la bannière étoilée le 14 août 2015. Ainsi, le fameux et imposant bloc de béton et de verre du boulevard de front de mer Malecon à La Havane redeviendra l'ambassade des États-Unis.

«Demain est un jour historique!», a lancé jeudi le porte-parole du département d'État John Kirby.

En fait, Washington et La Havane ont rétabli leurs relations diplomatiques et rouvert leurs ambassades le 20 juillet, après plus de 54 ans de hiatus, selon les termes d'un rapprochement historique que les présidents Barack Obama et Raul Castro avaient solennellement annoncé le 17 décembre dernier.

Les deux gouvernements, adversaires de la Guerre froide, avaient rompu les liens dans la foulée de la révolution castriste de 1959 mais ils entretenaient depuis 1977 des sections d'intérêts qui faisaient office d'ambassades.

Une fois le dégel amorcé en décembre, les présidents Obama et Castro s'étaient rencontrés en avril lors du Sommet des Amériques au Panama et le chef de la diplomatie cubaine Bruno Rodriguez était à Washington le 20 juillet pour rouvrir sa chancellerie.

Cuba a aussi été retirée d'une liste noire américaine d'«État soutenant le terrorisme».

Kerry verra des dissidents 

M. Kerry est dorénavant très attendu sur l'épineux dossier des droits de l'homme et de la dissidence politique cubaine.

«Je vais rencontrer des dissidents (...) J'aurai la chance de m'asseoir avec eux» au cours d'une réception, privée, à la résidence de l'ambassadeur américain à La Havane, a-t-il affirmé sur la télévision américaine en espagnol Telemundo News.

De fait, ces entrevues doivent se dérouler, à l'abri de la presse, à la résidence et non à la chancellerie, lieu de la grande cérémonie officielle. M. Kerry a reconnu que les dissidents n'étaient «pas invités (...) à l'ambassade parce que c'est un événement entre gouvernements, où, par ailleurs, l'espace est très limité».

Il a aussi dit qu'il s'offrirait «une promenade à pied, librement, dans la vieille ville de La Havane».

Des deux côtés du détroit de Floride, des opposants à la détente -- comme le sénateur républicain américain d'origine cubaine Marco Rubio -- accusent l'administration démocrate d'avoir mis sous l'éteignoir ses exigences en matière de droits de l'homme et de libertés.

«Nous n'allons pas balayer d'un revers de main nos inquiétudes pour la société civile et les droits de l'homme», a rétorqué le département d'État. Washington a ainsi condamné la brève interpellation dimanche de 90 opposants cubains du groupe des Dames en blanc, qui avaient manifesté avec des masques à l'effigie du président Obama pour critiquer le rapprochement.

M. Obama «est responsable de ce qui se passe. Le gouvernement cubain s'est enhardi avec les négociations», avait déclaré, avant d'être arrêté, l'analyste Angel Moya, époux de Berta Soler, dirigeante des Dames en Blanc.

Cuba exige aussi la levée de l'embargo économique imposé en 1962 par le président John F. Kennedy et renforcé par la loi Helms-Burton de 1996. L'administration Obama est également pour mais cela dépend du Congrès, aux mains des républicains, dont beaucoup sont vent debout contre la mesure, qui serait une récompense aux frères Castro.

Fidel Castro a d'ailleurs rappelé les «nombreux millions de dollars» que l'Amérique doit selon lui à son île, en compensation de l'embargo, dans un texte paru dans la presse le jour de son 89e anniversaire.