Manuel Contreras, chef de la redoutable police politique de la dictature d'Augusto Pinochet, «l'un des personnages les plus sombres de l'Histoire» du Chili selon le gouvernement, est décédé à 86 ans dans un hôpital de Santiago.

Des dizaines de Chiliens - parmi eux d'anciens prisonniers politiques - se sont rassemblés devant cet hôpital pour célébrer la mort de cet homme, qui n'a jamais reconnu aucun de ses crimes.

Manuel Contreras Sepulveda, condamné à 529 ans de prison dans des procès organisés pour 40 cas de tortures, disparitions et enlèvements d'opposants, «est mort vers 22h30» vendredi (01h30 GMT samedi) à l'Hôpital militaire de Santiago, où il était hospitalisé depuis septembre 2014, selon une source policière.

C'est dans ce même établissement qu'était mort en décembre 2006 son mentor Augusto Pinochet, sans n'avoir jamais été condamné.

L'ancien général, emprisonné depuis 2005, mais qui n'avait pas été déchu de son grade, souffrait depuis plusieurs années d'un cancer, de diabète et d'insuffisance rénale. Son état de santé s'était détérioré ces derniers jours.

Son corps a été remis samedi matin à sa famille, qui l'a fait «incinérer lors d'une cérémonie privée», selon Mauricio Newman, porte-parole du cimetière, mais sans honneurs militaires, en vertu d'un récent décret.

«Cette nuit est mort l'un des personnages les plus sombres de notre Histoire, responsable de crimes et de graves violations des droits de l'Homme dans notre pays», a réagi le gouvernement dans un communiqué.

«Contreras est mort en emportant des informations précieuses pour connaître la vérité et rendre justice après l'horreur commise par la dictature», a-t-il ajouté.

Prisons secrètes

Contreras a été le créateur et unique directeur de la Direction nationale du renseignement (DINA), à laquelle est imputée la majorité des victimes de la dictature chilienne (1973-1989) - plus de 3200 morts ou disparus et plus de 38 000 personnes torturées au nom de la lutte antisubversion.

Considéré comme le bras droit de l'ancien président Pinochet - son professeur à l'académie militaire avec lequel il déjeunait quotidiennement dans les premières années du régime - il a été condamné à de multiples reprises, devenant l'un des plus grands criminels jugés de l'histoire du Chili, mais a toujours nié que la DINA ait été à l'origine de tortures ou de disparitions.

«On n'a jamais torturé personne», assurait Contreras dans un entretien télévisé depuis sa prison en septembre 2013.

«Tous les morts de la DINA sont morts au combat. Je n'ai pas donné l'ordre de faire disparaître qui que ce soit», poursuivait-il, saluant les «méthodes normales» d'interrogatoire employées par cette police, ce qui avait provoqué l'effroi parmi ses victimes.

«Dans l'impunité, quelqu'un comme Manuel Contreras meurt en emportant avec lui la vérité et sans avoir jamais collaboré pour la faire connaître», a regretté samedi, auprès de l'AFP, Lorena Pizarro, présidente du Groupe de proches de détenus disparus (AFDD).

La DINA a pu disposer de jusqu'à 60.000 agents et informateurs, y compris à l'extérieur du Chili, quand il s'agissait d'éliminer des dissidents exilés en Europe ou aux États-Unis. Elle tenait des opposants prisonniers aussi longtemps qu'elle le désirait dans ses prisons secrètes, ne rendant compte qu'à Pinochet.

Opération Condor

Manuel Contreras a participé à la création et mise en application de l'«Opération Condor», plan d'extermination des opposants coordonné par les dictatures sévissant dans plusieurs pays d'Amérique latine dans les années 70 (Chili, Argentine, Bolivie, Brésil, Paraguay, Uruguay).

Le général à la retraite a été condamné notamment pour l'assassinat d'Orlando Letelier, ancien ministre du gouvernement du socialiste Salvador Allende, victime d'un attentat à la voiture piégée à Washington le 21 septembre 1976, considéré comme l'une des premières attaques terroristes sur le sol américain.

Manuel Contreras a aussi été reconnu coupable de la mort de l'ex-commandant en chef de l'armée chilienne Carlos Prats et de son épouse, tués dans leur voiture piégée en Argentine en 1974.

Pinochet avait relevé Contreras de ses fonctions en 1977, quand Washington avait apporté la preuve de la responsabilité de la DINA dans l'assassinat de Letelier.

Mais le Chili avait refusé son extradition vers les États-Unis, bien que celui-ci ait effectué une peine de sept ans de prison pour ce crime, jusqu'en janvier 2001.

Il avait recouvré la liberté pendant quatre ans avant d'être de nouveau incarcéré en 2005.