L'inefficacité du gouvernement mexicain dans l'enquête sur la disparition de 43 étudiants fin septembre a déclenché une crise de confiance envers le président Enrique Peña Nieto, aggravée ces derniers jours par des soupçons de conflit d'intérêts dans l'affaire de la luxueuse maison de son épouse.

«C'est la crise la plus délicate et profonde du Mexique des dernières décennies», diagnostique Nicolas Lazo, de la Faculté latino-américaine de Sciences sociales (FLACSO). «Elle génère de l'incertitude par la crainte que le gouvernement ne réagisse pas par des mesures efficaces pour affronter les graves problèmes de justice, de corruption et de transparence».

La disparition le 26 septembre de 43 étudiants à Iguala, dans l'État du Guerrero (sud), avait indigné le Mexique par le degré de collusion ouverte entre des institutions municipales, la police et un groupe de narcotrafiquants.

Elle a fini par atteindre le gouvernement fédéral, accusé d'avoir pris en main tardivement l'enquête et de n'avoir toujours pas trouvé trace des disparus, probablement tués et carbonisés, selon les aveux de trois criminels.

Les manifestations, impulsées par les parents des disparus, les étudiants et les enseignants radicaux, se sont succédé depuis plusieurs semaines dans tout le pays, souvent marquées par des violences et des actes de vandalisme et réclamant le départ du président. Une nouvelle manifestation est prévue jeudi à Mexico.

Contrat annulé

«Le président a tardé à agir et doit faire des changements, pour en finir avec l'impunité des politiciens complices de groupes criminels, sinon le pays va prendre feu», pronostique Antonio Ortega, présidente de l'ONG Conseil citoyen pour la Sécurité publique.

Mardi, la Banque du Mexique a évoqué la crise déclenchée par la disparition des étudiants, au côté de la baisse de la production de pétrole, pour expliquer l'ajustement de ses prévisions de croissance pour 2014 et 2015.

Le président mexicain se trouve en outre confronté depuis la semaine dernière à une polémique qui tourne au scandale autour de la révélation dans la presse de la maison achetée par son épouse à une filiale du groupe Higa, l'un des principaux bénéficiaires de contrats gouvernementaux à l'époque où Enrique Peña Nieto était gouverneur de l'État de Mexico (2005-2011).

Ce groupe avait également obtenu le 3 novembre, dans le cadre d'un consortium mené par une entreprise chinoise, un contrat de plus de 4 milliards de dollars pour la construction de la première ligne de TGV du Mexique et d'Amérique latine. Contrat annulé abruptement par le président mexicain trois jours après, peu avant un déplacement en Chine.

Mardi soir, la première dame Angelica Rivera, une ex-vedette de télénovelas, a annoncé son intention de vendre ce bien, acquis pour 54 millions de pesos (près de 4 millions de dollars), pour mettre un terme à la polémique.

Et mercredi, M. Peña Nieto a rendu public son patrimoine, évalué à plusieurs millions de dollars en biens immobiliers, terrains, bijoux, comptes en banque et investissements, «afin de gagner la confiance de la société».

«Le président est dans une situation inconfortable. Le fait que la famille présidentielle recule n'est pas un bon signe. S'il n'y avait rien de mal, alors on tiendrait bon, mais il y a des indices que tout cela ne fut ni transparent, ni très légitime», selon Eurubiel Tirado, analyste de l'Université Ibéro-américaine.

Tous les partis politiques touchés

À sept mois d'élections intermédiaires législatives et locales, cette crise met sous pression le Parti révolutionnaire institutionnel (PRI) du président, qui voit s'effacer les dividendes politiques attendus des réformes économiques et sociales mises en oeuvre depuis son retour au pouvoir en décembre 2012.

Mais la crise touche aussi de plein fouet le principal parti de gauche, le Parti de la révolution démocratique (PRD), bannière sous laquelle avait été élu le maire d'Iguala, José Luis Abarca, détenu pour être l'instigateur présumé de l'attaque du 26 septembre contre les élèves-enseignants de l'école normale d'Ayotzinapa.

La crise du PRD a amené Cuauhtémoc Cardenas, fondateur et «leader moral» du parti, trois fois candidat à la présidence (1988, 1994 et 2000), à réclamer la démission du président du parti Carlos Navarrette, pourtant récemment élu à une large majorité à l'issue d'un scrutin interne.

Cela laisse présager de graves divisions internes au sein du PRD, qui pourraient bénéficier à Andres Manuel Lopez Obrador, candidat présidentiel de ce parti en 2012, mais créateur, depuis, du parti Mouvement pour la régénération nationale (MORENA) qui se veut à la gauche de la gauche.