Les Brésiliens sont divisés à une semaine d'une élection présidentielle accrochée entre la présidence de gauche sortante Dilma Rousseff, et sa rivale écologiste, Marina Silva, apôtre d'une «nouvelle politique» en rupture avec le jeu des grands partis.

Les 142,8 millions d'électeurs du géant émergent d'Amérique latine sont appelés aux urnes le dimanche 5 octobre pour élire leur président, mais aussi les 27 gouverneurs, 513 députés et 1069 députés régionaux et un tiers du Sénat (27 sièges) de ce pays-continent.

Candidate à un second mandat de quatre ans, Dilma Rousseff, l'héritière de l'ancien charismatique président Lula (2003-2010), était à l'origine grande favorite du scrutin face à des adversaires peu connus et sans grand relief, le social-démocrate Aecio Neves et le socialiste Eduardo Campos, soutenu par Mme Silva.

Mais la mort de M. Campos le 13 août dans un accident d'avion a propulsé sur le devant de la scène la populaire Marina Silva. Et son explosion immédiate dans les sondages qui la donnaient large gagnante au second tour a bouleversé la donne.

Le camp présidentiel a lancé une vigoureuse et payante contre-offensive qui a permis à Mme Rousseff de revenir en force, sondage après sondage.

La présidente a même pour la première fois dépassé légèrement Marina Silva en intentions de vote en cas de second tour (43% contre 40%), selon un sondage publié vendredi par l'Institut Datafolha.

Elle gagnerait facilement le premier tour avec 40% des voix, contre 27% pour Marina Silva et 18% pour Aecio Neves, candidat du Parti social-démocrate brésilien (PSDB).

Un second tour sera organisé, le 26 octobre, si le vainqueur du premier tour ne remporte pas plus de voix que toutes celles de ses 11 rivaux réunis.

En 2010, Dilma Rousseff avait été élue sur la vague euphorique des années Lula: un boom économique spectaculaire combiné à une action déterminée contre les inégalités sociales qui ont permis l'émergence d'une nouvelle nouvelle classe moyenne de 40 millions de Brésiliens sortis de la pauvreté.

L'horizon s'est depuis obscurci. La croissance du Brésil a fortement ralenti ces quatre dernières années. L'inflation est repartie à la hausse. Le Brésil est même entré en récession technique au premier semestre.

Le pays a aussi été fortement ébranlé par la fronde sociale historique de juin 2013 lancée par les jeunes de classe moyenne urbaine. Ce mouvement a permis de prendre la mesure d'un rejet profond et viscéral envers des élites politiques jugées inefficaces et corrompues. Il a révélé l'émergence de revendications nouvelles pour des services de base (santé, éducation, transports) dignes d'un pays développé.

C'est dans ce contexte changé que les Brésiliens doutent entre la continuité incarnée par Dilma Rousseff et la rupture prônée par Marina Silva, deux ex-alliées que tout oppose, en vision et caractère.

Apparatchik contre dissidente

D'un côté du ring, l'austère Dilma Rousseff, ex-guérillera emprisonnée et torturée sous la dictature. Une stature, une voix qui imposent. Cette économiste à poigne, ancienne ministre de l'Énergie et chef du cabinet de Lula et une pure apparatchik du Parti des travailleurs (PT).

De l'autre, Marina Silva, un frêle gabarit qui cache une lutteuse née dans une famille pauvre d'Amazonie. Aphalbétisée à 16 ans. Elle a été récolteur de latex, domestique, syndicaliste, plus jeune sénatrice de l'histoire du Brésil, ministre de l'Environnement. Cette fervente évangélique dissidente du PT est un électron libre aux accents messianiques.

Marina Silva pourrait doublement entrer dans l'histoire en devenant la première chef d'État noire et de confession évangélique du Brésil.

Son éventuelle élection marquerait aussi une importante rupture avec 20 ans de domination du PT et du Parti social-démocrate brésilien (PSDB) de l'ex-président Fernando Henrique Cardoso (1995-2003) sur la politique brésilienne.

Candidate attrape-tout, Marina Silva courtise les déçus du lulisme, les évangéliques, les manifestants de 2013, les écoeurés de la corruption et des compromissions partisanes. Tous ceux qui veulent mettre fin au régime PT, à commencer par les milieux économiques.

Elle affirme qu'elle gouvernera «avec les meilleurs», en rupture avec la «vieille politique». Elle fustige la bipolarisation PT-PSDB, mais se veut le point d'équilibre entre leurs conquêtes.

«Nous allons récupérer la stabilité économique du gouvernement Fernando Henrique (...) perdue sous l'actuel gouvernement. Et nous allons maintenir et approfondir l'inclusion sociale initiée par le gouvernement Lula, aujourd'hui menacée par celui de Dilma à cause du retour de l'inflation, des taux d'intérêts élevés et de la faible croissance», plaide-t-elle.

D'abord sonnée par la déferlante Marina Silva, Dilma Rousseff rend désormais coup pour coup, quitte à frapper parfois sous la ceinture en accusant sa rivale de vouloir supprimer les programmes sociaux dont bénéficient des millions de Brésiliens défavorisés.

Mme Rousseff met en garde contre l'aventure Silva et le risque d'une paralysie politique du pays si sa rivale l'emporte.

«Dans une démocratie, personne ne gouverne sans parti, a-t-elle rappelé lors d'un débat télévisé. La base de soutien de Marina Silva est aujourd'hui de 33 députés. Sait-elle combien il lui en faudra pour approuver un simple projet de loi? 129. Et une réforme constitutionnelle? 308. A-t-elle le tact pour négocier?».