Des géants de l’industrie automobile comme Volkswagen et Tesla, qui assurent une partie de leur production en Chine, risquent d’intégrer dans leurs véhicules de l’aluminium issu du travail forcé d’Ouïghours au Xinjiang.

Jim Wormington, un analyste de Human Rights Watch (HRW), note que les entreprises présentes dans le pays asiatique ont une connaissance insuffisante de leur chaîne d’approvisionnement et sont incapables de garantir qu’ils ne profitent pas des abus des droits de la personne perpétrés par le régime contre cette minorité musulmane.

« En ce moment, la seule façon pour les entreprises de s’assurer que ce n’est pas le cas est de couper tout lien avec des fournisseurs d’aluminium du Xinjiang », note l’analyste, qui vient de produire un rapport étoffé à ce sujet.

En 10 ans, les autorités chinoises ont augmenté considérablement les capacités de production de la région, qui fournit aujourd’hui près de 15 % de l’aluminium chinois et 10 % de la production planétaire, évaluée à 70 millions de tonnes en 2022.

Le hic, note M. Wormington, c’est que la majeure partie de la production du Xinjiang est transférée dans le reste de la Chine sous forme de lingots et refondue pour former des alliages qui sont ensuite utilisés pour former des dizaines de pièces automobiles différentes, notamment des châssis, des blocs-moteurs et des pièces de batterie.

Aluminium et coton

L’aluminium de la région devient alors indétectable et peut se retrouver tant dans des pièces que dans des voitures produites localement destinées au marché chinois ou à l’exportation.

La dynamique est similaire pour le coton produit au Xinjiang, qui se retrouve dans de nombreux vêtements vendus en Occident, mais des tests génétiques existent pour détecter sa présence, alors qu’aucun test n’existe pour l’aluminium, relève M. Wormington.

HRW a pu déterminer, en consultant notamment des publications officielles où le gouvernement chinois se félicite de sortir les Ouïghours de la pauvreté, que nombre de personnes issues de cette minorité musulmane ont été contraintes de travailler dans des alumineries. L’organisation a aussi déterminé que le charbon utilisé pour les alimenter en électricité provenait en partie du travail forcé.

Les sociétés occidentales qui veulent s’assurer de la probité de leurs fournisseurs au Xinjiang risquent d’encourir les foudres du gouvernement chinois. Ils doivent par ailleurs composer avec des travailleurs terrorisés qui sont peu susceptibles de se plaindre, de crainte d’être persécutés.

De plus, l’intervention de plusieurs intermédiaires qui achètent et revendent l’aluminium en Chine même rend les chaînes d’approvisionnement encore plus opaques.

Des géants se défendent

Tesla, qui assure une partie importante de sa production dans une usine de Shanghaï, a indiqué en réponse aux questions de Human Rights Watch qu’elle avait intensifié ses efforts pour contrôler les pratiques de ses fournisseurs d’aluminium et « n’avait pas trouvé de preuves de travail forcé ».

Les assurances données par Tesla, si elles sont fondées, ne couvrent au mieux qu’une partie de son approvisionnement, relève M. Wormington.

Volkswagen, qui est aussi présente en Chine, a indiqué qu’elle avait intensifié globalement ses efforts pour s’assurer que les composants en aluminium de ses véhicules ne découlaient pas du travail forcé, tout en relevant que le nombre important de fournisseurs compliquait grandement la tâche.

L’entreprise allemande, qui a créé une société conjointe avec une firme chinoise pour assurer sa production locale, a indiqué qu’elle ne pouvait contrôler pleinement la chaîne d’approvisionnement dans ce cas, puisqu’elle était l’associée minoritaire.

Dans un courriel envoyé à La Presse, un porte-parole de Volkswagen a assuré que l’entreprise prenait « très au sérieux » ses responsabilités en matière de droits de la personne et avait des mécanismes élaborés en place pour éviter les dérapages.

General Motors, qui dispose aussi d’usines dans le pays gérées conjointement avec un partenaire chinois, a évoqué une logique similaire tout en assurant qu’elle disposait d’un code de conduite « robuste » obligeant ses fournisseurs à éviter tout abus des droits de la personne.

La firme américaine et Tesla n’ont pas donné suite aux demandes d’entrevue de La Presse.

Dilemme éthique

HRW pense que les pays occidentaux doivent renforcer leurs contrôles frontaliers pour empêcher l’entrée sur leur territoire de pièces ou de véhicules fabriqués en Chine en partie avec du travail forcé.

Les États-Unis, note M. Wormington, ont adopté en 2022 une nouvelle loi qui permet de bloquer tout produit provenant du Xinjiang, présumant qu’il dépend en partie de travail forcé, mais les saisies touchant le secteur automobile restent à ce jour limitées.

Ottawa a introduit en 2023 une loi qui oblige les entreprises à détailler les mesures prises pour éviter le travail forcé dans leurs produits, mais elle « ne les force pas à agir », souligne l’analyste, qui presse le gouvernement fédéral de resserrer ses contrôles.

La question est urgente puisque les importations au Canada de véhicules en provenance de la Chine ont été multipliées par quatre en cinq ans et devraient continuer d’augmenter, ce qui place les consommateurs face à un dilemme éthique, relève M. Wormington.