Le président chinois Xi Jinping, qui décrit la réintégration de Taiwan comme une « mission historique » pour son régime, risque-t-il de s’inspirer de l’invasion russe en Ukraine pour se lancer à son tour dans une aventure militaire à haut risque ?

L’hypothèse a été soulevée à plusieurs reprises au cours des dernières semaines par des analystes et des militaires, certains évoquant même la possibilité que Pékin tente de passer rapidement à l’offensive pour profiter du fait que l’initiative russe attire l’attention internationale ailleurs.

Un officier canadien de haut rang qui témoignait récemment devant un comité du Parlement, le major-général Mike Wright, a notamment déclaré que l’armée était « très préoccupée » par ce scénario il y a quelques semaines.

PHOTO CARLOS GARCIA RAWLINS, ARCHIVES REUTERS

Xi Jinping, président de la Chine

Scénario alarmiste ?

Frédéric Lasserre, spécialiste de l’Asie rattaché à l’Université Laval, note que ces mises en garde sont alarmistes et négligent les différences importantes qui existent entre les deux conflits.

Le scénario d’une invasion militaire de Taiwan par les troupes chinoises n’est pas plus probable aujourd’hui « qu’il ne l’était il y a deux mois », juge le professeur, qui voit le conflit en Ukraine comme un casse-tête à court terme pour les autorités chinoises.

La Chine essaie surtout pour l’heure de gérer les contrecoups de la guerre sur ses relations avec l’Occident et la Russie.

Frédéric Lasserre, spécialiste de l’Asie rattaché à l’Université Laval

Pékin, qui avait développé des relations étroites avec l’Ukraine sur le plan économique, tient à maintenir de bonnes relations avec Moscou, mais cherche aussi à éviter une détérioration marquée de ses liens avec l’Europe et les États-Unis susceptible de nuire à ses projets de développement.

« Une sorte d’avertissement »

Kharis Templeman, professeur de l’Université Stanford qui étudie de près les relations tendues entre la Chine et Taiwan, estime que l’invasion russe diminue à court terme la probabilité d’une attaque de Pékin.

« Il s’agit d’une sorte d’avertissement » démontrant qu’il n’est pas facile, même pour une armée disposant de ressources largement supérieures à celles de son adversaire, de prendre rapidement le contrôle d’un pays pour établir un gouvernement fantoche.

La Russie vient de tenter de le faire et elle a échoué catastrophiquement.

Kharis Templeman, professeur de l’Université Stanford

La réflexion est rendue encore plus pertinente pour la Chine par le fait, dit-il, qu’un assaut éventuel contre Taiwan se ferait par la mer et serait sensiblement plus complexe sur le plan militaire que l’offensive en Ukraine.

M. Lasserre estime que les difficultés militaires russes ne constituent pas une indication de ce qui arriverait aux forces chinoises à Taiwan et ne risquent donc pas d’affecter l’analyse que fait Pékin de l’opportunité d’un assaut contre l’île.

Le poids économique de Taiwan

PHOTO CHIANG YING-YING, ARCHIVES ASSOCIATED PRESS

Une militaire taïwanaise salue le drapeau national

Le fait que Kyiv ne bénéficiait pas avant l’invasion d’une alliance militaire lui assurant une aide extérieure directe en cas d’attaque représente par contre une différence de taille à considérer.

Bien que les États-Unis ne reconnaissent pas formellement Taiwan comme un pays à part entière et entretiennent une « ambiguïté stratégique » sur une éventuelle attaque chinoise, il est généralement compris que Washington interviendrait militairement en cas d’assaut contre l’île, relève M. Templeman.

Taiwan, dit-il, a une importance économique beaucoup plus grande que l’Ukraine pour les États-Unis, notamment en raison de la présence sur son territoire du plus important producteur de semi-conducteurs de la planète. Il est situé par ailleurs sur des voies maritimes très utilisées, à un endroit stratégique pour la protection d’autres alliés régionaux, dont le Japon.

La crainte de sanctions

Les sanctions économiques et financières sévères imposées par les pays occidentaux en réaction à l’offensive russe sont plus susceptibles de peser dans les réflexions de Xi Jinping et de son entourage que les ratés militaires de Moscou, note M. Lasserre.

Un récent rapport de l’Institut des États-Unis pour la paix relève à ce titre que l’exclusion du système d’échange interbancaire SWIFT imposée à la Russie pourrait avoir un impact « potentiellement dévastateur » pour l’économie chinoise si elle devait s’appliquer un jour à Pékin.

La Chine serait cependant en meilleure position pour contrer d’éventuelles sanctions puisque son économie demeure étroitement liée à celle des États-Unis et de plusieurs pays occidentaux et qu’elle conserve le contrôle d’une fraction importante de la dette américaine, un outil pouvant lui permettre d’exercer des représailles en cas d’escalade, note M. Lasserre.

Pékin, conclut le professeur, est convaincu de façon plus générale que « le temps joue en sa faveur » et que la croissance de sa puissance économique et militaire lui permettra ultimement de convaincre Taiwan de revenir dans son giron sans nécessairement avoir à croiser le fer avec Washington.