(Paris) Les sanctions économiques sans précédent imposées par l’Occident contre la Russie ont « peu de chances » de dissuader Vladimir Poutine de frapper l’Ukraine, affirme dans un entretien à l’AFP le chercheur Gary Hufbauer, qui a étudié l’efficacité de ces mesures depuis un siècle.

Depuis le début du 20e siècle, « les sanctions ont été efficaces dans moins d’un tiers des conflits », constate ce chercheur au centre de réflexion Peterson Institute for International Economics (PIIE) à Washington, auteur de l’ouvrage Economic Sanctions Reconsidered.

Le principal enseignement tiré de cette analyse historique de l’effet des sanctions économiques sur une centaine de conflits est que « la plupart des pays dans lesquels les sanctions ont été efficaces ont été de petits pays, des États fragiles, loin de la puissance de la Russie », affirme-t-il.

Les mesures punitives ont par exemple fonctionné dans des pays tels que le Panama, le Pérou, la Guinée Équatoriale ou la Sierra Leone, égrène-t-il. Concernant des États de taille plus importante, elles ont été efficaces pour l’Afrique du Sud dans le cadre de la lutte contre l’apartheid à partir des années 1960, ou pour le Brésil.

Mais elles n’ont pas porté leurs fruits dans des conflits impliquant des acteurs de plus grande envergure : par exemple la Chine lors de l’invasion de la Corée du Sud par celle du Nord dans les années 1950, le Pakistan lorsque les États-Unis ont sanctionné la possession d’armes nucléaires, ou encore… la Russie après l’invasion de la Crimée, où les sanctions avaient certes été de faible intensité.

S’agissant de la Chine et de la guerre de Corée, qui a par ailleurs pu compter également sur le soutien de l’Union soviétique à l’époque, « les sanctions ont été dures, or ces pays n’ont pas reculé », rappelle-t-il.

« Autocrate des autocrates »

« Lorsqu’un grand pays envahit un autre pays, il est très difficile de convaincre le dirigeant de l’État agresseur de changer d’avis, car ce serait un recul personnel trop important », décrypte-t-il. Selon lui, « frapper une économie, ce n’est pas changer la mentalité d’un dirigeant » et les sanctions économiques ne peuvent la plupart du temps pas modifier l’idéologie d’un dirigeant en opération.

C’est particulièrement le cas « lorsqu’il s’agit d’un autocrate », ajoute-t-il, qualifiant Vladimir Poutine d’« autocrate des autocrates ».   

Contrairement à la Crimée en 2014, les sanctions qui pèsent actuellement sur la Russie « sont très importantes », reconnaît M. Hufbauer, impliquant cette fois des gels d’avoirs de la banque centrale, des exclusions du réseau interbancaire SWIFT ainsi que des restrictions à l’exportation qui pourraient durablement affecter la croissance russe, déjà fragile.

Pour autant, « est-ce que cela fera dévier Poutine de ses projets ? Il y a peu de chances », affirme le chercheur qui estimerait même surprenante l’hypothèse d’un cessez-le-feu rapide avec Kiev.  

« Je ne dis pas que c’est impossible, je dis juste qu’il n’y a pas de précédent » comparable, affirme encore M. Hufbauer.

Les mesures, qui pourraient encore s’aggraver dans les prochains jours, devraient faire reculer les revenus de la population russe de l’ordre de 10 %, affirme-t-il par ailleurs, soit bien davantage que l’effet moyen des sanctions économiques dans l’Histoire.

Le porte-parole du Kremlin, Dmitri Peskov, a reconnu lundi que les sanctions prises par les Occidentaux pour punir Moscou de son invasion de l’Ukraine étaient « lourdes » et « problématiques », tout en assurant que la Russie avait « les capacités nécessaires pour compenser les dégâts ».