(La Haye) Le nouveau procureur général de la Cour pénale internationale (CPI) a demandé lundi aux juges la réouverture d’une enquête en Afghanistan axée sur les talibans et le groupe djihadiste État islamique-Khorasan (EI-K), écartant des priorités l’examen de crimes imputés à des soldats américains.

Karim Khan, qui a pris ses fonctions en juin, a déclaré que la situation en Afghanistan après la prise du pouvoir par les talibans signifiait qu’il ne pouvait « plus s’attendre à des enquêtes locales authentiques et efficaces ».  

Sa décision d’écarter des priorités l’enquête sur les forces américaines pour se concentrer sur les groupes islamistes a été saluée par les États-Unis tout en suscitant la colère d’organisations de défense des droits humains.

« Nous sommes satisfaits de voir que la CPI va consacrer en priorité ses ressources aux accusations les plus graves », a déclaré une porte-parole de la diplomatie américaine, Jalina Porter, en rappelant l’opposition de Washington à une enquête visant les soldats américains.

« Nous sommes profondément inquiets au sujet de la situation actuelle des droits humains en Afghanistan, y compris s’agissant d’allégations d’atrocités », a-t-elle ajouté.

L’enquête avait été suspendue en 2020 après que le gouvernement — désormais renversé — de Kaboul avait assuré qu’il tenterait d’enquêter lui-même sur les allégations de crimes de guerre.

Mais « le changement de régime » a eu « de profondes répercussions », a déclaré M. Khan dans un communiqué.

Dans l’attente de la décision des juges, le procureur a dit se préparer à reprendre son enquête.

Gravité et ampleur

Et en raison des « ressources limitées » de la CPI, il a ajouté avoir « décidé d’axer les enquêtes » sur « les crimes qui auraient été commis par les talibans et l’État islamique-Khorasan, au détriment d’autres aspects de l’enquête ». Il a évoqué « la gravité, l’ampleur et la nature » des crimes présumés.

Il a spécifiquement mentionné l’attaque meurtrière du 26 août à l’aéroport de Kaboul, revendiquée par l’EI-K, au cours de laquelle 13 militaires américains et plus de 100 civils afghans ont été tués.

La CPI avait entamé un examen préliminaire sur l’Afghanistan en 2006, avec pour mandat d’enquêter sur des crimes remontant à trois ans plus tôt, lorsque l’Afghanistan a rejoint la cour.

Fatou Bensouda, la procureure sortante, avait en 2017 demandé aux juges internationaux l’autorisation d’ouvrir une enquête, affirmant qu’il y avait « des motifs raisonnables de croire » que des crimes de guerre avaient été commis à la fois par les talibans et par les forces américaines en Afghanistan, ainsi que par la CIA dans des centres de détention secrets à l’étranger.

Les juges de la CPI avaient rejeté l’ouverture d’une enquête en 2019, affirmant que cela « ne servirait pas les intérêts de la justice », mais les juges d’appel avaient ensuite donné leur feu vert en 2020.

L’enquête de la CPI — cour créée en 2002 pour juger les pires atrocités dans le monde — a longtemps suscité l’ire des États-Unis, qui ne sont pas signataires du traité ayant permis la constitution de cette cour, et avait conduit le gouvernement de Donald Trump (2017-2021) à imposer des sanctions à Fatou Bensouda.

« Honte »

Karim Khan a déclaré que son bureau resterait « attentif aux possibilités de préservation des éléments de preuve qui se présenteraient » relatifs aux crimes imputés à des soldats américains.  

Le procureur a toutefois martelé qu’il existait « une base raisonnable pour croire que des personnes affiliées aux talibans » avaient « commis des crimes contre l’humanité ».

Selon lui, les informations faisant état de la libération par les talibans de « milliers de prisonniers prétendument liés aux groupes terroristes Al-Qaïda et EI-K » permettent de douter que les nouveaux dirigeants islamistes du pays puissent enquêter « véritablement ».

« Stupéfaite », c’est une « honte », a tweeté Katherine Gallagher, une avocate d’Afghans qui affirment avoir été victimes de tortures par les forces américaines.

« Nous exhortons le procureur général à revenir sur cette décision, qui reporte indéfiniment toute justice pour les victimes de torture de la part des États-Unis », a aussi réagi l’association américaine de défense des droits humains ACLU.

Samira Hamidi, une militante d’Amnistie internationale, a estimé que la bavure de l’armée américaine juste avant son retrait, qui avait causé la mort de dix membres d’une famille afghane, montrait que la CPI devait « revoir cette décision et demander des comptes aux États-Unis également ».