L'heure est à l'introspection aux États-Unis pour nombre de journalistes qui se reprochent, à l'instar des sondeurs, de ne pas avoir vu venir la victoire de Donald Trump.

Mais le résultat du scrutin appelle des interrogations sur l'écosystème médiatique américain qui vont bien au-delà des remises en question individuelles, selon Joshua Benton.

Le directeur du Nieman Journalism Lab, un important centre d'étude rattaché à l'Université Harvard, pense que le « choc systémique » vécu par la communauté journalistique témoigne du fait que les médias traditionnels ont perdu beaucoup d'influence dans le processus politique face aux médias sociaux.

Il y a eu, selon lui, beaucoup de « bon journalisme » de fait durant la campagne tant sur le candidat républicain que son adversaire démocrate, Hillary Clinton.

Le hic, selon M. Benton, est que cette information ne se rend plus efficacement à la population, qui mise d'abord aujourd'hui sur les réseaux sociaux - et plus particulièrement sur Facebook - pour se renseigner sur les derniers développements politiques.

La démocratie américaine, selon l'analyste, souffre grandement du fait que l'entreprise refuse de se préoccuper de la véracité des informations véhiculées par l'entremise de son site, permettant la diffusion de fausses nouvelles à grande échelle.

Le fil d'actualité des usagers de Facebook tend à favoriser les informations susceptibles de les conforter dans leurs convictions. La possibilité d'ajouter des nouvelles falsifiées dans l'équation exacerbe plus encore le problème et augmente les risques de manipulation.

Des fabrications pures et simples, provenant de personnes qui agissent pour faire la promotion de leur site ou par calcul politique, peuvent être propagées à très grande échelle sans aucune mise en perspective.

Ce fut souvent le cas durant la campagne. M. Benton souligne, à titre indicatif, que le maire de la ville de Louisiane d'où il est originaire a affiché plusieurs fausses nouvelles dans la journée précédant le scrutin.

L'une d'elles relevait que Hillary Clinton appelait à la guerre civile en cas de victoire du candidat républicain. Une autre que le président Barack Obama avait admis être né au Kenya. Une troisième précisait que le pape François a donné son appui à Donald Trump.

Cette dernière affirmation a été partagée près de 870 000 fois sur Facebook alors qu'un autre article démontrant son caractère infondé a été partagé 33 000 fois. « Facebook ne devrait pas permettre que sa plateforme soit détournée de cette façon », relève M. Benton.

CAMPAGNE EN LIGNE DE TRUMP

Pablo Boczkowski, un spécialiste des communications rattaché à l'Université Northwestern, est aussi d'avis que les médias sociaux ont joué un rôle central dans l'élection, reléguant les médias traditionnels à l'arrière-plan.

Le constat s'impose, dit-il, en voyant que la multiplication de reportages négatifs à l'encontre de Donald Trump n'a pas réussi à torpiller sa campagne et qu'il a prévalu même si 27 fois plus de journaux et de magazines, selon un décompte effectué par le chercheur, ont appelé à voter démocrate que républicain.

Selon lui, la campagne en ligne du candidat républicain, évaluée à partir des indicateurs disponibles comme le nombre de partages de messages, avait sensiblement plus d'échos que celle de son adversaire.

« Les politiciens contournent les médias traditionnels avec les médias sociaux. Ils n'avaient pas la chance de le faire au 20e siècle. Maintenant, ils le peuvent. On peut difficilement le leur reprocher », estime Pablo Boczkowski, spécialiste des communications rattaché à l'Université Northwestern

Joshua Benton pense que les difficultés économiques des médias traditionnels - qui sont imputables en partie au poids publicitaire croissant des médias sociaux - ont aussi joué un rôle important dans leur incapacité à prévoir la victoire de Donald Trump.

La plupart des grands médias sont basés dans des centres urbains sur la côte Est et la côte Ouest et sont coupés, dit-il, de vastes pans de territoire où le candidat républicain a fait des gains importants.

« De tous les messages inscrits dans la montée de Trump, l'un des plus clairs est que ses électeurs sont convaincus que les élites côtières servent mal leurs intérêts », relève l'analyste, qui appelle de ses voeux une vaste réflexion sur la manière dont l'information est produite et distribuée dans la société américaine.

RÉGULER LE CONTENU DE FACEBOOK ?

L'entreprise de Mark Zuckerberg s'est toujours montrée réticente par le passé à réguler le contenu de son site, préférant se présenter comme un simple conduit pour l'information choisie par les usagers. Une conviction renforcée par le fait que plusieurs cas de censure inspirés du code de conduite en vigueur ont suscité des polémiques. Des témoignages suggérant que des articles favorables au camp républicain avaient été retirés de la section tendances ont aussi fait polémique et alimenté les réserves de l'entreprise. Joshua Benton, du Nieman Journalism Lab, pense que Facebook devrait minimalement tenter de réguler son contenu pour éviter que des fausses nouvelles soient propagées par son entremise tout en convenant que l'exercice pourrait être délicat. La firme, dit-il, pourrait d'abord se concentrer sur les textes qui sont « clairement faux » et moduler l'algorithme de manière à ce qu'ils soient moins susceptibles d'apparaître dans le fil d'actualité des usagers ou encore générer un message d'avertissement à leur attention.

NEWSWEEK DANS L'EMBARRAS

La revue Newsweek a illustré par l'absurde à quel point la possibilité d'une victoire de Donald Trump n'était pas considérée plausible par plusieurs médias. Des éditions pour chaque cas de figure avaient été préparées, mais une firme associée, croyant la victoire démocrate assurée, a pris l'initiative d'envoyer celle annonçant une victoire d'Hillary Clinton à l'impression. Plusieurs milliers de copies montrant la politicienne sous le titre « Madame la présidente » ont été distribuées le jour du scrutin. Il semble que quelques exemplaires ont été vendus.

IMAGES TIRÉES DE L'INTERNET

La revue Newsweek avait préparé des éditions pour chaque cas de figure, selon que Donald Trump ou Hillary Clinton remporte l'élection présidentielle.