Doit-on publier ou non l'identité des tueurs? Les médias s'interrogent et se positionnent.

Pour éviter de tomber dans la « glorification posthume », le journal Le Monde, en France, comme d'autres médias européens, ont décidé de ne plus publier la photo des auteurs d'un attentat. La multiplication des attentats, de même que cette prise de position de certains médias, oblige les patrons de presse à réfléchir à la question.

« Depuis l'apparition du terrorisme [du groupe armé] État Islamique (EI), Le Monde a plusieurs fois fait évoluer ses usages, écrivait le quotidien français dans sa livraison d'hier. Nous avons notamment décidé de ne plus publier d'images extraites des documents de propagande ou de revendication de l'EI. À la suite de l'attentat de Nice, nous ne publierons plus de photographies des auteurs des tueries pour éviter d'éventuels effets de glorification posthume. »

« Il ne faut pas cacher les faits, ou le parcours de ces tueurs, c'est pourquoi nous ne sommes pas favorables à leur anonymat, mais les photos (du passé des auteurs des attentats) ne sont pas utiles pour décrire leur parcours. » - Jérôme Fenoglio, directeur du quotidien Le Monde

D'AUTRES MÉDIAS

La chaîne BFM-TV, en France, a pris la même décision hier, son directeur de la rédaction, Hervé Béroud, trouvant notamment déplacé de mettre au même niveau « victimes et terroristes ».

Au journal La Croix, plus question non plus de publier de photos des terroristes. Pour le nom, on s'en tient au prénom et à l'initiale du nom de famille.

Europe 1, elle, va encore plus loin : elle ne diffusera plus ni les photos ni aucun nom d'auteur d'attentat terroriste.

Au contraire, au Parisien comme chez Libération, anonymiser les terroristes est impensable. « Imaginez un papier avec les frères SA et BA, AA, FAM », a dit le directeur adjoint de Libération, Johan Hufnagel.

En France, la pression monte sur les médias. Des politiciens - comme Geoffroy Didier, candidat de droite - ont officiellement demandé aux médias de taire l'identité des terroristes. Mais surtout, la loi sur l'état d'urgence impose au Conseil supérieur de l'audiovisuel la rédaction d'un code de conduite « sur le traitement médiatique du terrorisme ».

Dans un article publié dans L'Express, une publication française, le journaliste de France 24, Wassim Nasr, auteur du livre État islamique, le fait accompli, s'inscrit en faux contre cet appel à l'autocensure.

« Regardez déjà le nombre de théories du complot qui ont été évoquées au lendemain de l'attentat à Nice. L'extrême droite surfe également dessus en assurant : "Vous voyez, le gouvernement ne veut pas nous montrer que ce sont des Arabes" ».

De toute façon, ajoute-t-il, « les djihadistes ne regardent pas le journal télévisé de TF1, pas plus qu'ils ne lisent les médias mainstream ».

AILLEURS EN EUROPE

Le conseil allemand de la presse a pour sa part déjà émis un avis sur la question. À son avis, il faut « publier les noms et les photos seulement au cas par cas et quand l'intérêt justifié de l'opinion publique prime sur les intérêts dignes de protection des personnes concernées ».

Pour le quotidien autrichien Die Presse, « ne pas divulguer les informations disponibles sur les terroristes ne revient qu'à nourrir les théories conspirationnistes qui fleurissent un peu partout. »

AU QUÉBEC

À La Presse, c'est aussi le point de vue d'Éric Trottier, vice-président Information et éditeur adjoint, qui ajoute que si ce sont des questions légitimes, le fait de cacher des informations peut avoir de bien plus graves travers. 

« À Nice, par exemple, si l'auteur des attentats avait eu des complices, des gens, en voyant sa photo dans les médias, auraient pu aller offrir de précieux témoignages à la police. »

Loin d'être sensationnalistes, ces informations peuvent contribuer « au développement d'enquêtes » en plus d'offrir un plus large éclairage à des évènements.

« De connaître le passé d'un auteur d'attentat, ça t'aide à comprendre ses motivations, de voir s'il y a un pattern, par exemple, entre les 10 ou 20 plus grands tueurs de l'Histoire. »

Au surplus, où mettre la limite de la publication ou de la non-publication de l'identité ? « Faut-il ne censurer que le nom des terroristes islamistes ou faudrait-il, par exemple, ne pas identifier davantage Richard Bain ou Luka Rocco Magnotta ? Où trancher ? Et qui déciderait ? », demande-t-il.

Luce Julien, rédactrice en chef du Devoir, note pour sa part que la décision du journal Le Monde l'a amenée à réfléchir à tout cela, sans que ça infléchisse pour autant sa position. 

« Le nom et la photo des terroristes sont des éléments d'information, ce qui ne nous disculpe pas de réfléchir à la couverture. » - Luce Julien, rédactrice en chef du Devoir

« Chez nous, ces derniers temps, on cherche à donner de la perspective aux événements, poursuit Mme Julien. Est-ce vraiment la plus grosse vague d'attentats terroristes ? Les tensions raciales aux États-Unies sont-elles vraiment plus aiguës que lors des dernières décennies ? Il faut faire attention de ne pas contribuer à un climat de peur. »

Devant la multiplication des attentats, Michel Cormier, directeur de l'information à Radio-Canada, a souligné quant à lui que la politique éditoriale de Radio-Canada pouvait changer, mais que pour l'heure, il n'était pas question de retenir l'identité des terroristes.

« Ça demeure des faits publics, qui peuvent même être utiles quand des gens sont en cabale. »

De toute manière, fait-il remarquer, avec les médias sociaux, l'identité des assassins a tôt fait de circuler et de choisir de garder l'identité pour soi n'aurait pas grand effet réel.

Au Journal de Montréal, George Kalogerakis, directeur de l'information, a dit au téléphone ne pas vouloir nous accorder d'entrevue à ce sujet.