Trois des personnes qui ont laissé fuir des secrets d'État américains ont des convictions qui surprendraient probablement leurs partisans. Telle est la thèse publiée à la fin janvier par un historien respecté, Sean Wilentz, qui a disséqué les écrits de Julian Assange, d'Edward Snowden et de Glenn Greenwald pour comprendre leurs motivations.

Tous trois sont des partisans plus ou moins enthousiastes de Ron Paul, un politicien républicain libertaire honni par la gauche. Greenwald et Assange sont opposés à toute surveillance de l'État, à leurs yeux fondamentalement maléfique. Quant à Snowden, il a des positions très à droite sur des sujets comme le contrôle des armes à feu, était hostile à la fuite d'informations quand George W. Bush était président et n'a changé d'idée qu'avec l'élection de Barack Obama.

«Je crois sincèrement qu'on ne peut évaluer des fuites de secrets d'État comme WikiLeaks ou les documents de Snowden et Greewald sans connaître les motivations de ces gens», explique en entrevue Sean Wilentz, qui a publié son essai dans le magazine de gauche The New Republic.

«Les motivations de Snowden sont troubles. Il semble être un partisan déçu de l'aile dure républicaine qui n'a changé d'idée sur la légitimité du dévoilement de secrets d'État que lorsqu'Obama a été au pouvoir. Quant à Greenwald et Assange, ils habitent un espace politique où l'extrême gauche anti-impérialiste et l'extrême droite paléo-isolationniste se rencontrent: ils croient foncièrement que l'État est maléfique. Ce sont des «libertaires paranoïaques», pour reprendre une expression du politologue Richard Hofstadter.»

Défense de néonazis

L'historien de Princeton note ainsi que Greenwald a été jusqu'à récemment lié au groupe de réflexion libertaire Cato, à Washington, qu'il a défendu des néonazis et des suprématistes blancs et qu'il a en 2005 dénoncé le «défilé de maux causés par l'immigration illégale», une déclaration récemment répudiée en invoquant son «ignorance» à l'époque. Assange, lui, a appuyé un parti «nativiste» dirigé par un néonazi lors des élections australiennes de 2012.

Les motivations du trio les poussent, selon M. Wilentz, à adopter un système de deux poids, deux mesures. «La NSA [National Security Administration] est automatiquement suspecte, alors que le Venezuela, la Russie ou la Chine, pays autoritaires s'il en est, ne sont pas vraiment attaqués, ou sont même portés aux nues. Je n'irais pas jusqu'à accuser Snowden d'avoir agi de concert avec les espions russes, mais il faut noter qu'Assange semble avoir collaboré avec les autorités russes et biélorusses en leur remettant des documents de WikiLeaks.»

Edward Snowden

Âge: 30 ans

Naissance: Caroline-du-Nord

Carrière : Après avoir vainement tenté de s'enrôler dans les Special Forces de l'armée américaine, il est engagé comme gardien de sécurité par la NSA, où il devient informaticien spécialisé dans la sécurité. En exploitant les mots de passe de collègues, il met la main sur de nombreux documents secrets, avec lesquels il s'envole pour Hong Kong en 2012. Par l'intermédiaire de Glen Greenwald, il publie l'été dernier des documents montrant les capacités techniques de la NSA, prouvant que des chefs d'État étrangers ont été espionnés et que des «métadonnées» de conversations téléphoniques aux États-Unis sont enregistrées par la NSA.

Julian Assange

Âge: 42 ans

Naissance: Australie

Carrière : Après avoir été condamné pour s'être introduit à distance dans les systèmes informatiques de Nortel et du Pentagone, entre autres, il collabore dans les années 90 avec la police australienne dans ce domaine, puis fait des études et une carrière d'informaticien. En 2006, il fonde WikiLeaks pour diffuser des informations secrètes, frappant un gros coup en 2007 avec une vidéo tournée depuis un hélicoptère d'assaut au-dessus de Bagdad, puis en 2010 avec la publication de dizaines de milliers de câbles diplomatiques américains. Fin 2010, il est accusé d'agression sexuelle.

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Julian Assange

Glenn Greenwald

Âge: 46 ans

Naissance: New York

Carrière : Après une carrière de 15 ans comme avocat constitutionnaliste, où il a notamment défendu des causes de liberté d'expression à gauche et à droite, il a lancé en 2005 un blogue très critique à l'endroit de George W. Bush, mais parfois aussi des démocrates. Il a ensuite collaboré avec le Guardian, servant notamment d'intermédiaire l'an dernier entre Edward Snowden et le quotidien britannique. Il publiera en mars un livre sur les liens entre les compagnies privées et les services de renseignement.

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Avocat de formation, Glenn Greenwald avait collaboré au printemps dernier avec l'informaticien américain Edward Snowden à la publication d'une série de documents secrets révélant un vaste système de surveillance électronique mis en place par les États-Unis.