Le plus récent prix Nobel de la paix a été décerné à trois femmes qui se sont élevées contre la tyrannie, notamment dans le cadre des révolutions arabes. Mais qu'en est-il de celles qui vivent auprès des tyrans eux-mêmes et qui les embrassent quand ils partent au travail le matin? Portrait des premières dames de la dictature.

«Je m'appelle Asma Assad. Je suis l'épouse d'un criminel de guerre vicieux. Il tue des gens innocents. Il est en train de décimer ma ville natale, Homs. Je suis Asma Assad et je me tiens aux côtés de mon homme. Je suis avec Bachar!»

Si vous faites une recherche sur l'internet ces jours-ci et que vous cliquez sur le «site officiel de la première dame de Syrie», c'est sur cet énoncé accusateur que vous tomberez en deux temps, trois mouvements. Vous comprendrez tout aussi rapidement que le site web est une parodie au sujet de la femme de l'actuel président Bachar al-Assad, décrié par une grande partie de la communauté internationale pour sa sanglante répression du soulèvement populaire qui ébranle son pays depuis un an.

La vraie Asma Assad a participé la semaine dernière à un rassemblement en faveur de son mari avec ses enfants. Les yeux brillants, elle a écouté son discours, un sourire aux lèvres. Il y a quelques semaines, elle a envoyé une lettre à un journal britannique, affirmant qu'elle soutenait les actions de son mari. «Le président est le président de tous les Syriens, pas d'une faction des Syriens et la première dame le soutient dans ce rôle», a-t-elle écrit dans le communiqué de presse.

À New York comme à Paris, dans les milieux politiques comme dans ceux de la mode, plusieurs sont restés bouche bée. Jusqu'à l'an dernier, Asma Assad était le visage médiatique de la modernité syrienne. Une jeune femme modèle élevée en Angleterre, ex-banquière, d'une famille sunnite qui, par sa seule présence, laissait présager des jours meilleurs en Syrie.

«Dans une prison dorée»

Le magazine Vogue lui a consacré un long article dans son numéro de mars 2011, louant autant le travail humanitaire de la «Rose du désert» que son sens du style.

Aujourd'hui, le portrait dithyrambique est introuvable sur le site de Vogue et les articles consacrés à la première dame de Syrie posent tous la même question: comment peut-elle continuer à soutenir son mari? Comment a-t-elle pu devenir la Marie-Antoinette de Syrie?

Auteure de deux livres intitulés Femmes de dictateur, dont un paraîtra sous peu au Québec, l'historienne française Diane Ducret n'est pas surprise du soutien infaillible d'Asma Assad envers son mari. «Pour faire partie du clan Assad, elle a accepté d'être mise de l'avant comme un symbole de modernité. Sa personnalité propre a disparu dans tout ça. Aujourd'hui, elle vit dans une prison dorée et les informations qui lui parviennent sont fort probablement très minces. Elle est déconnectée comme l'était Marie-Antoinette», estime Mme Ducret.

Dévotion à toute épreuve

Ce soutien aveugle, elle l'a repéré chez toutes les femmes de dictateur qu'elle a étudiées. Car si les femmes de dictateur ne se ressemblent pas beaucoup - on retrouve dans ce club autant des insouciantes comme Eva Braun, la compagne de Hitler que des reines d'idéologie, comme Mira Milosevic -, elles ont en commun la dévotion à leur époux. «Et elles ne les quittent jamais», ajoute Mme Ducret. Une exception qui confirme la règle: la femme de l'ex-dictateur péruvien Alberto Fujimori, Susana Higuchi, a non seulement divorcé, mais a fait en plus campagne contre son ex-époux.

Dans la plupart des cas, les femmes de dictateur contribuent par ricochet à la longévité de la tyrannie de leur conjoint. «Elle les humanise en les aimant, les rassurant. Et en contribuant à la propagande», explique l'historienne qui s'est intéressée autant aux amours de Mussolini qu'à celles de l'ayatollah Khomeini et d'Oussama ben Laden. Certaines épouses, cependant, deviennent la cible de la haine du peuple qui se rebelle contre le dictateur. Ce fut récemment le cas en Tunisie, où la femme du président Zine el-Abidine Ben Ali était encore plus détestée que son mari.

Dernier point commun: l'histoire des épouses de despote se termine invariablement mal. «Les premières femmes que j'ai étudiées sont toutes mortes: suicidées ou assassinées. Plus récemment, elles se retrouvent en exil et restent confinées au silence», note Mme Ducret. «Une chose est sûre, les femmes de dictateur ne réussissent pas à se refaire une vie.»

D'AUTRES COMPAGNES DE TYRAN



Grace Mugabe


L'amoureuse des diamants

Ex-secrétaire de l'homme fort du Zimbabwe, Grace Mugabe est de 42 ans la cadette de son époux, Robert Mugabe. Son goût extravagant pour les vêtements et les bijoux lui a valu le surnom de «DisGrace» ou honte en anglais, une réputation qui a été ternie davantage encore lorsqu'un câble diplomatique américain, révélé par WikiLeaks, l'a reliée au trafic illégal de diamants.

Photo: Archives Reuters

Grace Mugabe

Leila Trabelsi

La parvenue

Leila Trabelsi, fille d'un vendeur de fruits secs, coiffeuse de métier, et sa famille possédaient près de la moitié de l'économie tunisienne lorsque cette dernière a pris la fuite en Arabie saoudite avec son mari, Zine el-Abidine Ben Ali, le 14 janvier 2011. Mariée au président tunisien en 1992, la jeune femme a vite fait de placer ses proches dans tout l'appareil étatique tunisien.

Photo: Archives AFP

Leila Trabelsi en compagnie de son mari Zine el-Abidine Ben Ali.

Suzanne Moubarak

L'humanitaire de service

Alors que son mari était au pouvoir, Suzanne Moubarak, elle, coupait des rubans, fondait des ONG et se faisait prendre en photo avec les démunis du pays. De mère britannique, l'épouse du président égyptien aurait pu prendre la fuite vers la Grande-Bretagne lorsque son mari a été renversé en février dernier, mais elle a choisi de rester à ses côtés. Accusée de corruption, elle a passé quelques mois en prison, mais a été libérée après avoir accepté de remettre ses biens à l'État égyptien.

Photo: Archives AP

Suzanne Moubarak

Safia Farkash

L'épouse traditionnelle

La deuxième femme de Mouammar Kadhafi, infirmière, était beaucoup moins connue que ses Amazones, un commando de gardes du corps féminines qui suivaient le président libyen au pas. Se faisant discrète, Safia Farkash aimait décrire son mari comme un «père modèle» et faire les magasins lorsqu'elle accompagnait son époux en mission officielle. Après la mort de ce dernier, elle a trouvé refuge en Algérie avec quelques-uns de ses enfants.





Photo: Archives Reuters

Safia Farkash