Les dépenses de santé plongent 100 millions de personnes dans la pauvreté chaque année dans le monde, selon le rapport annuel publié lundi par l'Organisation mondiale de la Santé (OMS), qui estime que jusqu'à 40% des dépenses de santé sont gaspillées. L'agence onusienne estime cependant qu'il faut continuer de financer les systèmes de santé pour améliorer leurs capacités.

Sur un total d'environ 5300 milliards de dollars dépensés pour les soins de santé chaque année dans le monde, environ 300 milliards sont engloutis dans des erreurs ou la corruption, affirme le Réseau européen de la fraude et de la corruption dans la santé européenne (European Health care Fraud and Corruption Network, EHFCN), cité par l'OMS. Jusqu'à un quart de l'argent que les gouvernements sont censés utiliser pour acheter des médicaments est perdu d'une façon ou d'une autre en cours de route, ce qui coûte jusqu'à 23 milliards de dollars par an.

L'OMS note ainsi que certains pays paient presque le double de ce qu'ils devraient pour leurs médicaments, et qu'au moins la moitié de l'équipement médical des pays pauvres est inutilisable, de même que la plupart du matériel donné aux pays en développement. «Dans certains pays, près de 80% de l'équipement vient de donateurs et gouvernements internationaux, et la plus grande partie n'est pas utilisée», selon le rapport. Ainsi, la majeure partie de l'équipement amené dans la Bande de Gaza depuis 2009 prend la poussière dans des entrepôts.

Dans ces circonstances, certains experts s'interrogent sur la pertinence de l'appel aux dons de l'OMS. Pour William Easterly, spécialiste de l'aide étrangère à l'Université de New York, le problème des pays en développement réside principalement dans le manque d'investissement dans le personnel de santé. «Les médicaments et vaccins ne se distribuent pas tout seuls», rappelle-t-il.

M. Easterly critique aussi les agences des Nations unies et les grands donateurs, comme la Bill & Melinda Gates Foundation, qui préfèrent mener des programmes spécifiques contre le paludisme, la poliomyélite ou le SIDA plutôt que d'investir dans les systèmes de santé publics. «C'est comme de larguer des bombes à 11 000 mètres d'altitude sans savoir ce qu'on frappe au sol», explique-t-il, «mais l'investissement dans les traitements contre le SIDA et le paludisme sont bien meilleurs pour la publicité que ceux dans les systèmes de santé».

David Evans, directeur du financement des systèmes de santé à l'OMS, explique que si l'attention s'est focalisée sur des maladies spécifiques, c'est en partie à cause du programme des Nations unies pour l'éradication de la pauvreté et l'amélioration de la santé dans les pays pauvres à l'horizon 2015 (les «Objectifs du Millénaire pour le développement», OMD).

Mais «quand la plupart des enfants d'Afrique meurent de pneumonie ou de diarrhée, le fait que les donateurs ouvrent une nouvelle clinique contre le SIDA n'aide pas», critique ainsi Julian Morris, directeur exécutif du laboratoire d'idées International Policy Network, basé à Londres.

L'OMS souhaite que les pays évoluent vers une couverture médicale universelle gratuite et l'abolition des autres frais à la charge du patient. En 2007, l'agence affirmait que les factures de santé avaient contribué à plus de six faillites personnelles sur dix aux États-Unis.

Pour Julian Morris, le rapport de l'OMS est idéaliste et l'on peut douter que certains gouvernements en suivent les conseils. «Personne ne nie que les gens doivent avoir accès aux soins de santé, mais la réalité dans de nombreux pays, c'est que les gouvernements sont corrompus ou inefficaces et qu'il y a peu de volonté pour que cela change», lance-t-il.