Dans Mes ennemis, un film indépendant de Stéphane Géhami, Louise Marleau incarne une grande pianiste déchue, alcoolique, entourée d'une cour de jeunes mâles éclopés de la vie comme elle. Une occasion de faire le point avec une actrice à qui ce genre de rôle n'avait jamais été offert auparavant.

Elle venait à peine de terminer la lecture du scénario de Mes ennemis. Sa décision était déjà prise. Louise Marleau a d'emblée accepté la proposition que lui a faite Stéphane Géhami, un cinéaste qu'elle ne connaissait pourtant pas du tout.

« C'est un rôle de rêve, explique-t-elle lors d'un entretien accordé à La Presse plus tôt cette semaine. Quand on vieillit, on ne peut se permettre de laisser filer les beaux rôles qu'on vous offre. D'autant qu'on ne m'en avait jamais proposé un comme celui-là auparavant. C'est un film à tout petit budget, produit de façon entièrement indépendante, pour lequel Stéphane est quand même parvenu à réunir une distribution impressionnante. Nous l'avons tous suivi, car on croyait en lui. Et en son film. »

Le personnage de grande pianiste déchue qu'elle incarne dans Mes ennemis, qu'elle compare à un personnage de théâtre hors normes, se situe à l'opposé de l'image élégante et sophistiquée qui lui colle à la peau. Atteinte par les ravages de l'alcool, la musicienne ouvre néanmoins la porte de sa maison délabrée à de jeunes mâles poqués, exclus de la société. Parmi lesquels, un jeune écrivain (Frédéric Lemay) en rupture amoureuse.

« Il y a de la poésie, du lyrisme, souligne l'actrice. Le scénario est aussi magnifiquement bien écrit. Mon personnage a un monologue sublime à livrer. Au cinéma, c'est plutôt rare. Et puis, je n'aurais probablement pas pu l'incarner il y a 10 ans. Question d'âge. »

UNE FEMME COMME TOUT LE MONDE

Maintenant septuagénaire, Louise Marleau se sent aujourd'hui en pleine possession de ses moyens et de son art. Et libérée d'une certaine image avec laquelle elle a toujours dû composer au fil de son parcours cinématographique.

« C'est étrange, car au théâtre, j'ai pu casser l'image de la belle jeune première assez rapidement, explique-t-elle. La perception qu'avaient de moi les gens du milieu théâtral a changé le jour où j'ai joué Soudain l'été dernier de Tennessee Williams. Nous étions alors dans les années 70. Et je n'ai plus eu à m'en préoccuper. Au cinéma, c'est différent. »

Icône québécoise de beauté, l'actrice a en effet traîné avec elle une image de grande bourgeoise très chic qui, dans les faits, ne correspondait pas du tout à la réalité de la femme issue d'une famille modeste, dont l'enfance a été vécue dans la rue Panet. En 1979, elle a même dû convaincre la cinéaste Mireille Dansereau qu'elle pouvait aisément se glisser dans la peau d'une mère de famille « ordinaire » dans L'arrache-coeur, son premier grand rôle au cinéma.

« Il a fallu que Mireille vienne chez moi, qu'elle me voie dans mon quotidien avec ma fille, dans ma cuisine, pour qu'elle se rende compte que j'étais une femme comme tout le monde, explique-t-elle. Je me suis fait dire assez souvent par des cinéastes qu'ils ne pouvaient pas me prendre parce qu'ils me trouvaient trop belle pour les rôles ! Heureusement, j'ai quand même pu faire de très belles rencontres au cinéma. »

Léa Pool, notamment, lui offre à la suite deux films marquants (La femme de l'hôtel et Anne Trister). À la faveur d'Une histoire inventée, elle se fond dans l'univers d'André Forcier avec grâce. Robert Ménard lui offre de son côté son plus grand succès public - Cruising bar - après lui avoir proposé ce qu'elle estime être son plus beau rôle de jeunesse. Exit est toutefois peu vu.

UN RÔLE DE PREMIER PLAN

Entre Le mirage, un film français qu'elle a tourné sous la direction du regretté Jean-Claude Guiguet en 1992, et Mes ennemis, Louise Marleau n'a pratiquement pas tenu un rôle de premier plan au cinéma.

« Je trouve formidable d'arriver à ce moment de la vie et d'avoir le sentiment d'être en pleine possession de ses moyens », dit Louise Marleau.

«On atteint une maturité artistique et on est riche de l'expérience de la vie. En revanche, je trouve ça triste que les gens plus mûrs - la population vieillit, pourtant - soient si peu représentés à l'écran. Les films qui le font - comme 45 Years ou Youth - viennent toujours d'ailleurs. J'aimerais tourner plus. Particulièrement à la télé. Il se produit des séries formidables maintenant chez nous ! »

Tête d'affiche de Jocaste reine, une pièce de Nancy Huston montée au TNM il y a trois ans (« Louise Marleau, passionnée et impériale », avait écrit le collègue Vigneault), l'actrice a quelques projets destinés au théâtre à son programme, ainsi qu'un film dans lequel, si les institutions le veulent bien, un « très beau rôle » l'attend. Rien de tout cela n'est encore confirmé cependant. Elle se croise les doigts.

« Pour moi, jouer, c'est toujours la même exaltation, même après toutes ces années ! »

Mes ennemis prendra l'affiche le 5 février.