Après La Terre vue du cœur, Iolande Cadrin-Rossignol et Marie-Dominique Michaud retrouvent Hubert Reeves dans un documentaire consacré à l’océan. Une occasion de voir l’astrophysicien sur grand écran pour la dernière fois.

« L’eau joue un rôle fondamental et l’océan est notre lieu de naissance. » S’il fut l’un des premiers à nous faire comprendre le lien qui nous unit au cosmos, le scientifique québécois, reconnu pour ses talents de vulgarisateur et son amour du vivant, insiste dans L’océan vu du cœur sur le lien qui nous unit à l’eau.

Filmé en 2021 à Paris par Iolande Cadrin-Rossignol et Marie-Dominique Michaud, Hubert Reeves n’aura pas eu la chance de voir l’œuvre terminée. Lors de la sortie du film en territoire français en septembre, son état de santé s’était trop dégradé pour qu’il puisse prendre connaissance du résultat. Il s’est éteint le 13 octobre à l’âge de 91 ans.

« C’est un miracle qu’on l’ait eu », souligne Iolande Cadrin-Rossignol, en entrevue. « On s’est parlé au téléphone [avant le tournage] et il s’était préparé », raconte celle qui l’a revu pour la dernière fois quelques semaines avant sa mort.

PHOTO DOMINICK GRAVEL, LA PRESSE

Iolande Cadrin-Rossignol et Marie-Dominique Michaud, réalisatrices du documentaire L’océan vu du cœur

Hubert [Reeves] ne faisait jamais ça, se préparer. Il pouvait improviser n’importe quand. Mais là, il s’était préparé pour raconter l’histoire de la marée et le lien avec le cosmos. On est habitées par son décès.

Iolande Cadrin-Rossignol, coréalisatrice

Le départ de celui qui était devenu un ami depuis leur première collaboration (Hubert Reeves – Conteur d’étoiles en 2003) marque aussi la fin obligée d’un cycle pour Iolande Cadrin-Rossignol.

L’océan vu du cœur s’ouvre sur des images grandioses, tournées en Bretagne, d’une marée en accéléré, portées par la voix tranquille d’Hubert Reeves. C’est le début d’un voyage à la surface et dans les profondeurs de l’océan dont les secrets commencent à peine à se révéler.

Appuyé par des entrevues avec une quinzaine de scientifiques, militants et penseurs, dont Frédéric Lenoir, Claire Nouvian, Daniel Pauly, Lyne Morissette, Mario Cyr et Sheila Watt-Cloutier, le long métrage aborde de multiples sujets. De la reproduction des coraux à l’alimentation des baleines en passant par l’art sous-marin réalisé par un poisson-globe japonais, il témoigne d’abord de la biodiversité et de l’ingéniosité du monde sous-marin afin d’expliquer l’interdépendance du vivant.

Bien que cet aspect ait été abordé dans La Terre vue du cœur, les deux réalisatrices ont voulu consacrer à l’océan un film entier, et ce, avant même que soit proclamée la Décennie des Nations unies pour les sciences océaniques au service du développement durable (2021-2030).

C’est le refus de la France de donner son aval au déploiement, en Polynésie française, d’un immense rāhui (interdiction collective et sacrée de la récolte d’une ressource pour la restaurer) qui a été la bougie d’allumage du projet.

« Il nous est apparu clairement que la haute mer n’appartenait à personne, qu’elle était le bien commun de l’humanité, mais vu que personne ne l’habitait, c’était quelque chose qui était en dehors de nous », remarque Marie-Dominique Michaud, coréalisatrice et coproductrice du film. Or, ont-elles appris, l’océan, par sa grande capacité de régénération et de régulation du climat, a le potentiel d’être un allié important dans la lutte contre les changements climatiques et l’adaptation à ceux-ci.

Militant, mais pas sensationnaliste

Les premiers instants du film se déroulent sous le signe de l’émerveillement, avec des images qui n’ont rien à envier aux plus grands documentaires animaliers. Dotées d’un budget qu’elles disent « modeste », bien que plus élevé que pour La Terre vue du cœur, les réalisatrices n’ont cependant pas lésiné sur l’esthétique, jumelant prises de vue réelles à des dessins animés conçus par Eruoma Awashish et Étienne Deslières. Les images époustouflantes d’une baleine à bosse et de son bébé ont été captées par le plongeur et caméraman québécois Mario Cyr au Banc d’argent, en République dominicaine. Après avoir attendu, au large de Sept-Îles, des baleines qui ne sont pas venues, probablement à cause de la présence de nombreux minéraliers, l’équipe les a rejointes au bout de leur migration.

PHOTO FOURNIE PAR LA PRODUCTION

Le film est riche en images sous-marines.

« On a un ratio très important d’images originales », note Marie-Dominique Michaud en saluant le travail de l’équipe technique, dont la direction photo signée par Noé Sardet. En tout, c’est près de 115 heures d’images et d’entrevues qu’elles ont eu à résumer en 1 h 36 min. Le tournage, qui s’est étiré sur cinq ans et sur plusieurs continents, a connu son lot d’épreuves, notamment une pandémie et un braquage à main armée en Californie. Les images tournées là-bas ont été perdues à jamais.

Film sans conteste militant, L’océan vu du cœur évite de tomber dans le sensationnalisme. En 2021, Seaspiracy, un documentaire portant sur la pêche intensive, avait essuyé des critiques de la part de scientifiques qui accusaient le réalisateur de désinformation. « Notre militantisme n’aurait aucune portée s’il n’était pas basé sur une pensée scientifique », affirme Iolande Cadrin-Rossignol.

Dans Seaspiracy, il y a un narrateur qui fait le chemin, alors qu’on donne la parole directement aux chercheurs, aux militants, aux scientifiques, aux gens sur le terrain. On se fait un honneur de ne pas travestir ou changer le propos.

Marie-Dominique Michaud, coréalisatrice

La biologiste marine Lyne Morissette a d’ailleurs agi à titre de consultante scientifique sur le projet.

L’océan vu du cœur n’est pas un film d’où l’on sort béat devant la beauté du monde. Le ravissement du début fait place à un rappel de la domination humaine, images de chalutiers raclant les fonds marins et d’ailerons de requins coupés à l’appui. « Pour prendre soin, il faut d’abord aimer, mais il faut aussi réaliser ce qui se passe », fait valoir Mme Cadrin-Rossignol.

Puis, le constat fait place à l’espoir, que le film incarne par l’action. « L’espoir fait partie de l’amour, c’est-à-dire que quand on aime, on espère toujours que ça va aller mieux », conclut-elle.

En salle ce vendredi