Les cryptomonnaies et la technologie chaîne de blocs portent des promesses d'une économie « désintermédiée », sans monnaies nationales, ni banquiers ni commerçants, mais la route sera encore longue avant que celles-ci ne commencent à se matérialiser.

La plus connue des cryptomonnaies, le bitcoin, s'échange aujourd'hui autour de 3500 dollars, bien loin du pic à 19 500 dollars d'il y a un an.

Les autres cryptomonnaies ont également plongé, et en décembre, la société américaine ConsenSys, l'une des entreprises phares de la galaxie chaîne de blocs, a annoncé qu'elle allait se séparer d'environ 13 % de ses effectifs, de 1200 personnes jusqu'alors.

Certains acteurs ont pris du recul avec les levées de fonds dans des cryptomonnaies désormais bien dévaluées, préférant se concentrer sur les applications privées de la chaîne de blocs, registre public regroupant l'historique des transactions, comme les outils de traçabilité ou d'authentification.

« Nous avons mis nos activités "levées de fonds en cryptomonnaies" un peu en "stand-by" », explique Alexandre Stachtchenko, le directeur général de la société de conseil Blockchain Partners.

« L'année 2019 va être une année d'assainissement, avec des entreprises qui vont travailler, faire un peu moins de bruit », estime-t-il.

« Peut-être qu'on verra ressortir en 2020-21 » des projets de levées de fonds en cryptomonnaies « qui seront plus pertinents et utilisables », estime-t-il.

Coûts trop élevés

À Lyon, Gilles Fedak est à la tête d'un des projets d'économie décentralisée qui semblent les plus réalistes et les plus proches de la mise en oeuvre.

Cet ancien chercheur en informatique, qui a lancé l'une des premières levées de fonds en cryptomonnaies en avril 2017, reconnaît que son projet a encore besoin d'un ou deux ans pour vraiment fonctionner à plein.

« Nous sommes à peu près à la moitié » de la feuille de route de trois ou quatre ans qu'iExec s'est fixée, estime-t-il.

Cette entreprise de 23 salariés a conçu un système de mutualisation de ressources informatiques grâce à la chaîne de blocs : les entreprises détenant des serveurs disponibles les mettent à disposition de développeurs ou d'entreprises qui ont besoin de capacité de calcul.

Pas d'intermédiaire à rémunérer dans l'opération, ce rôle étant joué par la chaîne de blocs qui garantit aux uns et aux autres la bonne exécution de leurs échanges.

Le géant informatique américain IBM a reconnu la pertinence de l'idée d'iExec. Il a mis des serveurs à disposition de la plateforme lyonnaise.  

Il a également mis à disposition une technologie spécifique qui permet de faire travailler l'ordinateur d'un tiers, sans que ce tiers ne puisse avoir accès aux calculs accomplis.  

Mais même si elle est techniquement au point, la plateforme doit encore faire baisser son coût de fonctionnement pour les utilisateurs, celui-ci restant trop élevé malgré la désintermédiation.

La chaîne de blocs Ethereum sur laquelle elle s'appuie a trop de transactions à traiter, ce qui fait exploser le coût de celles-ci.

« Il faut qu'on arrive à augmenter la performance des chaîne de blocs publiques, et qu'on arrive à diminuer le coût des transactions », explique Gilles Fedak.

« On a une phase d'un ou deux ans où il va falloir arriver à faire des chaînes de blocs publiques qui fonctionnent mieux et moins chères », indique-t-il.

Acceptation sociale

François-Xavier Thoorens, qui avec Ark a organisé une levée de fonds en cryptomonnaies dès la fin 2016 effectue le même constat : la généralisation de l'économie désintermédiée grâce à la chaîne de blocs et aux cryptomonnaies n'est pas encore pour demain.

« Je pense que cela va mettre beaucoup plus de temps qu'on imagine, non pas pour des raisons techniques, mais pour des raisons d'acceptation sociale », explique-t-il.

Pour que les applications chaînes de blocs se généralisent dans le public, il faudra convaincre Monsieur Tout-le-Monde de mettre sa confiance, non plus dans une personne ou une institution, mais dans un programme informatique dont la force est d'être infalsifiable.

« Cela mettra bien 20 ou 25 ans », estime-t-il.

Ark a mis au point des chaînes de blocs pouvant fonctionner en réseau, évitant ainsi le problème de surcharge de la chaîne de blocs Ethereum qui handicape iExec.

Les développeurs peuvent l'utiliser pour construire des applications, comme Personna, un système de vérification d'identité sur l'internet.

Ce projet, pour l'instant le plus avancé, « mettra probablement encore 2-3 ans avant d'être disponible pour le grand public » estime François-Xavier Thoorens.