Les opposants au regroupement entre la Bourse de Toronto et le parquet de Londres prendront bonne note de l'annonce hier par le gouvernement australien de son intention de s'opposer à l'achat de la Bourse ASX par celle de Singapour, lors d'une transaction prévue de 8,3 milliards CAN.

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Une décision officielle de Canberra est attendue dans les prochains jours.

«C'est sûr que ça donne des munitions aux opposants, dit Me Jean-Pierre Chamberland, associé en droit des valeurs mobilières chez Fasken Martineau. À partir de maintenant, quelqu'un pourra faire valoir le précédent que d'autres pays, ouverts aux investissements étrangers, prennent la position de défendre certains intérêts dits nationaux.»

Une opinion que partage Louis Gagnon, professeur de finances à l'Université Queens, de Kingston. «Ça leur donne un argument supplémentaire», convient-il dans un entretien.

Le trésorier du gouvernement de l'Australie, Wayne Swan, a annoncé hier que l'organisme d'analyse des investissements étrangers (l'équivalent australien d'Investissement Canada) suggérait au gouvernement de s'opposer à la transaction.

«À moins de changements, j'ai l'intention de suivre l'avis que la transaction n'est pas dans l'intérêt national de l'Australie», a-t-il dit dans un communiqué cité par Bloomberg.

Depuis son annonce en octobre dernier, l'offre d'achat pour la Bourse australienne par Singapour a provoqué une réaction en chaîne parmi les grandes sociétés de Bourses. En février, NYSE Euronext, qui gère la Bourse de New York, et Deutsche Börse, d'Allemagne, ont annoncé leur projet d'alliance juste après que Toronto et Londres eurent dévoilé le leur.

Vendredi dernier, c'était au tour d'un tandem boursier américain composé des sociétés NASDAQ et IntercontinentalExchange (ICE) de soumettre une offre de 11,3 milliards US pour NYSE Euronext.

«La tendance de la consolidation des places boursières dans le monde peut venir jouer en faveur de la transaction», souligne M. Chamberland, de Fasken Martineau.

Impact limité

L'avocat croit néanmoins que l'impact de la décision australienne restera limité et que la fusion TMX-LSE sera évaluée par les autorités provinciales et fédérales en fonction du contexte canadien.

Le groupe boursier TMX comprend trois Bourses: celle des actions à Toronto, celle des produits dérivés à Montréal et celle des petites capitalisations, nommée TSX-Croissance, qui est gérée de Calgary et de Vancouver.

Une majorité des patrons des sociétés cotées à la Bourse principale TSX et au marché TSX-Croissance seraient favorables au rapprochement avec Londres, bien que les opposants restent nombreux. Ainsi, 52 % sont pour, mais plus du tiers (38%) sont contre, d'après un sondage réalisé pour le Groupe TMX auprès de 111 dirigeants.

La nouvelle entité regroupée deviendrait la plus grosse société boursière du monde spécialisée dans les mines et les ressources naturelles.

Au Canada, l'opposition la plus forte est venue de trois grandes banques: CIBC, TD et la Banque Nationale. Certaines sont actionnaires de la plateforme concurrente Alpha.

Louis Vachon, président de la Banque Nationale, n'était pas disponible pour commenter hier. Mais, en marge de l'assemblée annuelle de l'institution, le 30 mars dernier, il a soutenu que la fusion devait être bloquée en raison des risques élevés que le Canada perde le contrôle du marché des gros capitaux d'affaires.

De son côté, Réjean Robitaille, président de la Banque Laurentienne, qui avait soulevé des questions sur l'impact de cette fusion sur les PME, n'a pas voulu commenter les impacts au Canada de la position du gouvernement australien.

Le secteur minier partagé

Dans le secteur minier, les dirigeants sont partagés quant au bien-fondé de la fusion proposée, selon un sondage de la firme PricewaterhouseCoopers.

«À titre de président d'une société inscrite à la Bourse TSX-Croissance, j'aimerais bien savoir les coûts associés à la fusion», dit Marco Gagnon, président d'Adventure Gold Explorations et président sortant du conseil de l'Association d'exploration minière du Québec.

Il espère que le signal envoyé par l'Australie incitera les autorités canadiennes à préciser leurs exigences avant de donner le feu vert au regroupement.

Le débat est nettement plus politisé en Australie qu'il ne l'est jusqu'à présent au Canada. Le gouvernement travailliste, minoritaire, courait le risque de faire face à un parlement opposé à la transaction. Au Canada, est-il possible que le débat ne devienne un enjeu de la campagne électorale fédérale en cours?

«Je serai surpris, répond le professeur Gagnon, de l'Université Queens. Le ministre fédéral de l'Industrie (Tony Clement) ne s'est pas encore prononcé sur la transaction. Il attend les résultats du processus d'analyse de l'investissement avant de se prononcer.»

La fusion doit en effet recevoir l'aval d'Investissement Canada, organisme de révision des investissements étrangers. Elle doit aussi être autorisée par les deux principaux organismes provinciaux de surveillance des marchés financiers: l'AMF au Québec et la CVMO en Ontario.

Enfin, les deux tiers des actionnaires du Groupe TMX doivent aussi approuver la transaction.

Pas d'inquiétude

L'action de TMX a perdu hier 29 cents, ou 0,74%, à 39$. Rien pour inquiéter Stéphane Dubeau, associé chez Dubeau Capital gestion de patrimoine, qui voit plutôt d'un bon oeil la fusion, pourvu que le contrôle réglementaire des marchés financiers reste au Canada. «La société a une bonne structure de coûts et elle est très innovatrice dans ses produits. C'est un bon titre financier à avoir en portefeuille.» M. Dubeau le conserve.