Costumes à fines rayures et chemises chic, bonus énormes et appartements de luxe, mais le cigare en moins: plus de vingt ans après le film Wall Street, dont la suite est présentée vendredi à Cannes, le trader ou golden boy n'a pas beaucoup changé en dépit de la crise.

«L'argent est toujours roi», confie à l'AFP Alice Lhabouz, directrice de la société de gestion MW à Paris.«Les débordements sont toujours là. Le fond du problème reste le même: la cupidité», renchérit Jacques-Antoine Bretteil, président de la société de gestion financière ICG International.

«Le moteur n'a pas changé: se faire de l'argent», enchérit Manoj Ladwa, trader chez le courtier ETX Capital à Londres.

Employés chouchoutés des banques et des maisons de courtage, les traders, souvent de jeunes diplômés d'écoles de commerce réputées, vendent et achètent des actions, obligations ou produits financiers pour leur employeur.

Ils sont rémunérés au «chiffre» via des bonus ou primes qui ont atteint des sommes astronomiques ces derniers mois, alors que l'économie mondiale est encore plongée dans la récession.

En 1987, Gordon Gekko, le héros du film Wall Street qui dépeint les excès de la finance, incarné par l'acteur Michael Douglas, lance une phrase qui deviendra culte: «La cupidité c'est bon» (Greed is Good).

C'est l'époque de la finance folle, celle qui n'a pour objectif que de s'enrichir. «C'était le Far-West. Les traders s'enivraient de champagne et roulaient en limousines», raconte Mme Labhouz.

En 2010, le style tape-à-l'oeil a certes pris quelques rides, mais le credo reste identique, mais avec des moyens autrement plus importants. Les traders disposent désormais de robots intervenant directement sur les marchés et des logiciels mathématiques qui rendent difficile le contrôle des transactions.

Cette révolution s'accompagne de produits dérivés complexes aux acronymes barbares --CDS, ABS, RMBS, etc.- qui vont se révéler des gouffres financiers pour les particuliers et les États mais une manne pour les golden boys.

«Ce qui a déclenché la crise ce sont les produits vendus par ces traders», soutient par exemple Waldenmar Brun-Theremin, gérant du Fonds Turgo Asset Management, en référence aux crédits immobiliers à risques (subprime), accordés aux ménages américains fragiles.

«Il n'est pas sûr que les banques qui ont acheté les subprime comprenaient ce qu'elles achetaient», enchérit M. Bretteill.

Pour M. Brun-Theremin, lui-même trader, il est devenu difficile de savoir si l'intérêt du client passe avant celui du golden boy ou de la banque qui emploie ce dernier.

Contrairement aux années 80, les traders bénéficient également aujourd'hui de la dérégulation et de l'opacité dans certains marchés, notamment ceux où s'échangent des produits dérivés. Greed is legal (la cupidité est légale), se félicite Gordon Gekko dans Wall Street II.

Flairant la bonne affaire, les hedge-funds, qui spéculent entre autres sur la faillite d'un produit, d'une société ou un d'État, s'y sont jetés et y ont prospéré. Ils pèsent désormais environ 1670 milliards US, soit pas loin du PIB de la France - près de 2400 milliards US - selon des chifres officiels.

«C'est le règne de l'IBG (I'll Be Gone, je serai parti), quelqu'un d'autre va devoir recoller les morceaux», explique Ray Brescia, enseignant en droit basé à Albany au nord de New York.

Grosso modo, «on se refile la patate chaude. On crée des bulles et on sait qu'elles vont exploser», résume Mme Labhouz.

Face au tollé, Lloyd Blankfein, PDG de Goldman Sachs, dont les traders ont engrangé 100 millions de dollars en 35 jours au premier trimestre 2010, avait indiqué en novembre 2009 qu'il n'était «qu'un banquier faisant le travail de Dieu».