(Ottawa) Le premier ministre Justin Trudeau a de nouveau assuré, mardi, qu’il n’avait jamais été informé d’une possible ingérence chinoise dans les élections canadiennes de 2019, accusant au passage ses adversaires politiques d’importer au pays des tactiques trumpistes.

À son arrivée à la rencontre hebdomadaire du Cabinet, mardi matin, le premier ministre a soutenu qu’il n’avait « jamais eu aucune information » de ses services de renseignement au sujet d’une « ingérence dans notre système électoral » ou d’un « financement des candidats fédéraux » par la Chine.

Cette affirmation contredit un reportage publié par le réseau Global News. « Les services de renseignement canadiens ont averti le PM Trudeau que la Chine avait secrètement financé des candidats à l’élection de 2019 », titrait le réseau il y a deux semaines, sur la foi de sources anonymes.

L’opposition exhorte le gouvernement à divulguer l’identité des candidats fédéraux – il y en aurait au moins 11, conservateurs comme libéraux, d’après le réseau anglophone – qui auraient bénéficié du stratagème de Pékin.

Les libéraux plaident qu’il existe un forum pour ce genre de renseignement : le Comité des parlementaires sur la sécurité nationale et le renseignement. Ses membres, députés et sénateurs, possèdent une habilitation de sécurité de niveau « très secret ».

« Extrêmement sérieux comme allégation »

Justin Trudeau en a d’ailleurs profité pour lancer une salve à ses rivaux sur l’échiquier politique canadien. Il les a accusés de singer les tactiques républicaines aux États-Unis en émettant des doutes sur l’intégrité des élections au Canada.

« On est en train de voir un petit peu, en ce moment, des gens jouer des jeux qu’on a vus au sud de la frontière, de dire : “ah, les élections ont été non légitimes, on a perdu à cause de l’influence d’autres pays”», a-t-il attaqué.

« Ça, c’est extrêmement sérieux comme allégation », a enchaîné le premier ministre, faisant valoir que, « selon toutes les informations qu’on a reçues, les résultats de nos élections n’ont pas été affectés par quelque chose que ce soit ».

Les informations véhiculées dans le reportage de Global News auraient incité Justin Trudeau à demander des comptes au président chinois Xi Jinping, ce qui a mené à un échange corsé entre les deux hommes en marge du sommet du G20 de Bali, en Indonésie.

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Le simple fait que le premier ministre ait soulevé l’enjeu de l’ingérence électorale auprès du maître de Pékin prouve que « c’est clair qu’il sait quelque chose qu’il ne veut pas dire », a avancé le bloquiste Alain Therrien, se défendant d’être « Donald Trump ou quelqu’un du sud des États-Unis qui dit que l’élection a été truquée ».

Le chef adjoint du Nouveau Parti démocratique, Alexandre Boulerice, a abondé dans le même sens, exigeant lui aussi davantage de transparence. « Ce n’est pas parce que M. Trudeau dit qu’il n’en a jamais entendu parler qu’il ne s’est rien passé », a-t-il dit au micro des journalistes dans le foyer des Communes.

Appel à la prudence

À l’instigation du Parti conservateur, et avec l’appui des autres formations politiques, le Comité permanent de la procédure et des affaires de la Chambre a donné le coup d’envoi mardi à une étude sur l’affaire. Le tout s’est mis en branle avec le témoignage du directeur général des élections du Canada, Stéphane Perrault.

Ce dernier a fait valoir qu’il fallait faire preuve de prudence avant de tirer des conclusions sur l’intégrité du système électoral, en particulier en se fiant à un reportage médiatique plutôt qu’à une enquête exhaustive ou au jugement d’un tribunal.

« Il faut faire attention […] avant de se prononcer sur l’équité d’une élection » à partir d’un article de journal, car « on ne sait pas ce qui est arrivé, et dans quelle circonscription », a-t-il argué, ne voulant pas pour autant « remettre en cause le travail journalistique ».

Invité à dire s’il entretenait des doutes sur la légitimité des scrutins de 2019 et de 2021, Stéphane Perrault a dit aux élus qu’il serait du ressort de la commissaire aux élections fédérales d’enquêter sur des allégations d’ingérence électorale.

Le chef du Bloc québécois, Yves-François Blanchet, a écrit une lettre à la commissaire Caroline J. Simard le 10 novembre dernier pour lui demander d’ouvrir une enquête. Le commissariat « ne confirme généralement pas » s’il amorce des investigations, a rappelé mardi une porte-parole de la haute fonctionnaire indépendante.