(Djerba, Tunisie) Justin Trudeau et François Legault, qui ont tenu samedi une première rencontre depuis la réélection de ce dernier, auront un agenda bien différent : M. Legault s’entretiendra avec le président Saïed, dont le régime est controversé, tandis que M. Trudeau passera son tour.

Les deux premiers ministres ont pu échanger une vingtaine de minutes en marge du Sommet de la Francophonie, samedi. Au menu : la loi québécoise 96 sur la protection du français, particulièrement le déclin du français à Montréal, et les transferts fédéraux en santé, deux sujets où les deux hommes ne sont pas tout à fait sur la même longueur d’onde.

À leur arrivée, les deux hommes ont brièvement pris la parole. M. Trudeau a affirmé vouloir parler de la « promotion du français » et des « valeurs partagées » qui « sont toujours difficile à véhiculer [lors] de conflits et défis démocratiques ». François Legault a affirmé de son côté qu’il y a « du travail à faire » pour la protection du français « à la maison ».

« On a vu l’été dernier, il y a un déclin de français, entre autres à Montréal, donc on a des gestes à poser ensemble. […] Je pense qu’on est tous les deux d’accord pour dire qu’il faut arrêter le déclin de français à Montréal et poser des gestes, pour aller dans la direction opposée, pour qu’il y a un plus grand pourcentage de Montréalais qui soient francophones », a exprimé M. Legault.

Les médias n’ont pas accès au site principal du Sommet. Plusieurs plénières se déroulent aussi à huis clos. D’ailleurs, l’évènement se tient sous haute surveillance policière. Québec et Ottawa doivent rencontrer séparément la presse plus tard samedi. François Legault a entre temps publié un tweet au terme de l’entretien. Une deuxième rencontre est prévue en décembre.

Après avoir fait campagne auprès de la France pour reporter à nouveau cette grand-messe de la Francophonie, le premier ministre canadien est finalement arrivé sur l’île tunisienne de Djerba, samedi.

En ouverture de l’évènement international, le président tunisien Kaïs Saïed y est allé d’une pique aux pays qui voulaient déplacer le Sommet, dont la dernière édition remonte à 2018.

« Comme tout le monde le sait, il a été question de moments difficiles, pour des raisons multiples, d’organiser ce sommet à distance, par vidéoconférence », a indiqué le président Saïed avant d’ajouter : « Voir même, pour certains, de l’annuler pour l’organiser ailleurs, mais notre volonté inébranlable, avec l’appui de nos amis a fini par l’emporter », a poursuivi M. Saïed devant un parterre de dignitaires.

Le Sommet de la Francophonie, qui se tient tous les deux ans, a été reporté une première fois en 2020 en raison de la pandémie, puis en 2021 en raison de la crise politique provoquée par le geste de M. Saïed de s’emparer de tous les pouvoirs législatifs au motif que le pays était ingouvernable. Il avait été aussi décidé de tenir le Sommet en dehors de la capitale.

La Presse avait révélé que M. Trudeau avait plaidé pour un autre report en 2022 en raison de la situation politique qui demeure préoccupante selon Ottawa. Le gouvernement Legault a lui aussi hésité à participer, mais dit vouloir « donner une chance à la démocratie ».

Des élections démocratiques se tiennent en Tunisie le 17 décembre.

Justin Trudeau prévoit d’ailleurs aborder la question des droits de l’homme et de la protection de la démocratie avec le gouvernement tunisien, mais il n’y a pas de rencontre bilatérale prévue avec le président Saïed, a-t-on indiqué.

Selon une source près du gouvernement fédéral, Ottawa veut « maintenir ses relations » avec la Tunisie, mais ne veut pas « renforcer » ou « donner une importante vitrine » au régime de M. Saïed à quelques semaines des élections au pays.

Justin Trudeau participera en revanche aux plénières où sera également présent le président tunisien. Des échanges en marge de ces activités pourraient survenir, a-t-on précisé.

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Le premier ministre du Québec, François Legault, après avoir été accueilli par la secrétaire générale de la Francophonie, Louise Mushikiwabo, et le président de la Tunisie, Kais Saied.

À contrario, François Legault s’entretiendra lui avec le leader tunisien en fin de journée samedi. Le premier ministre a déclaré vendredi que cet entretien était à la demande de M. Saïed, à titre de pays hôte du Sommet.

M. Legault a expliqué qu’il n’y a pas de « stratégie commune » avec Ottawa sur cet enjeu alors que le Québec a le titre de « gouvernement membre de plein droit » à la Francophonie.

« On n’ira pas s’en mêler [de la politique tunisienne], mais on va quand même le mentionner que c’est important pour nous la démocratie et les droits de l’homme », a indiqué M. Legault.

François Legault doit faire le point avec les médias à la fin de la journée. Du côté fédéral, la ministre des Affaires étrangères, Mélanie Joly, s’adressera à la presse.

Rencontre Trudeau-Legault

Le Sommet a donné l’occasion à Justin Trudeau et François Legault de tenir une première rencontre bilatérale depuis que le gouvernement Legault a été reconduit au pouvoir avec une forte majorité. Un bras de fer se dessine déjà entre Québec et Ottawa en matière d’immigration et sur la question des transferts fédéraux en santé. Québec réclame plus de pouvoirs en immigration, ce que lui refuse Ottawa.

François Legault a affirmé vendredi qu’il avait aussi l’intention de remettre les pendules à l’heure, notamment avec M. Trudeau, au sujet de sa réforme de la 101 (loi 96) et sur ses politiques d’immigration. M. Legault estime que des « médias à l’étranger » ont « mal interprété » ses visées.

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« Je veux que M. Trudeau comprenne qu’à 48 % de francophones sur l’île de Montréal, la situation est inquiétante. Il va falloir qu’on travaille en ensemble », a soutenu vendredi François Legault.

Lisez « Legault veut remettre les pendules à l’heure sur la langue et l’immigration »

« Je veux que M. Trudeau comprenne qu’à 48 % de francophones sur l’île de Montréal, la situation est inquiétante. Il va falloir qu’on travaille en ensemble », a soutenu vendredi M. Legault, évoquant les derniers constats de l’Office québécois de la langue française.

Le premier ministre veut à nouveau plaider l’importance de l’augmentation des transferts fédéraux en santé, une demande unanime des provinces canadiennes. Les provinces veulent que les transferts fédéraux en santé passent de 22 à 35 %.

Ottawa s’est dit ouvert la semaine dernière, mais veut y attacher des conditions, ce que le Québec rejette.

M. Legault participe samedi à une série d’activités du Sommet de la Francophonie, dont l’accès est fermé aux médias. Il doit intervenir lors d’une plénière à huis clos sur le thème « Le numérique, outil prioritaire de la Francophonie » et rencontrer le président de la Conférence suisse, Ignazio Cassis.

Des échanges se poursuivent pour la tenue d’une rencontre bilatérale entre M. Legault et le président Emmanuel Macron.

Avec La Presse Canadienne