Madrid et Barcelone sont passées à gauche samedi avec l'élection de l'ancienne juge Manuela Carmena dans la capitale et d'Ada Colau, une militante antiexpulsions, dans la deuxième ville du pays, portées par le mouvement des «indignés» et Podemos.

Avec Valence et Saragosse, quatre grandes villes sont désormais dirigées par des élus issus de plateformes citoyennes ou proches du mouvement des «indignés» et du parti antilibéral Podemos, à l'approche des élections générales prévues en fin d'année. Ce mouvement est né en 2011 d'un ras-le-bol de la crise, du chômage et de la corruption.

La militante anti-expulsions Ada Colau, 41 ans, a été investie à Barcelone avec 21 voix - celles de sa plateforme et dix votes de partis de gauche - contre dix pour le maire sortant conservateur Xavier Trias.

«Merci à la société civile pour avoir rendu possible l'impossible», a-t-elle lancé, la voix tremblante d'émotion. Dénonçant ceux qui l'accusent d'être une «ingénue», voire une «démagogue», elle a prévenu ses partisans qu'ils devraient «affronter des pouvoirs fortement consolidés en dehors de nos institutions», dans une allusion notamment aux pouvoirs économiques et aux lobbies.

Auparavant, Manuela Carmena, ex-magistrate de 71 ans, est devenue la première édile «indignée» élue, avec une majorité absolue de 29 sur 57 voix à Madrid, affirmant, elle aussi vouloir «changer vraiment la façon de faire de la politique», avec des objectifs clairs.

Les deux ont été saluées par des «hourras» de leurs partisans qui ont scandé «Si se puede!» («oui, c'est possible»), cri de ralliement des «indignés».

«C'est une petite bataille de gagnée. Voir des gens comme ça (des gens normaux) gouverner nous émeut beaucoup et nous donne de l'espoir», a déclaré avec enthousiasme à l'AFP Concha Alvarez, fonctionnaire du secteur de la santé de 47 ans, lors d'une fête organisée dans un parc au coeur de Madrid où résonnaient des airs des années 80.

«Beaucoup de gens ont réagi avec sarcasme. Ils ne croyaient pas qu'une initiative comme celle-ci pouvait marcher», a-t-elle ajouté, en référence à la liste «Ahora Madrid» de Manuela Carmena, formée sur la base d'une plateforme citoyenne «Ganemos Madrid» et soutenue par le parti de gauche radicale Podemos, devenu troisième force du pays en un an.

Manuela Carmena, militante communiste pendant sa jeunesse, prend les rênes de Madrid, bastion de la droite pendant 26 ans, dont 24 entre les mains du Parti populaire.

Malgré les appels du PP à faire barrage à la gauche radicale partout dans le pays, Manuela Carmena, arrivée deuxième derrière Esperanza Aguirre du Parti populaire, a été élue grâce aux voix du Parti socialiste qui a accepté de la soutenir au nom du «changement» dans la capitale espagnole meurtrie par la crise et gangrenée par les affaires de corruption.

Le chef du gouvernement espagnol Mariano Rajoy a lui déploré dans un tweet les «pactes excentriques et sectaires» qui ont empêché des conseillers du PP d'être maires.

Plan de choc contre les inégalités

Les premières décisions de Manuela Carmena s'adresseront aux enfants pauvres, pour leur garantir deux repas par jour, et aux personnes menacées d'expulsion de leurs logements.

La ville de trois millions d'habitants, dont le centre historique rénové attire de plus en plus de visiteurs, souffre d'un taux de chômage de 16 % et reste meurtrie par presque six ans de crise.

C'est aussi le cas de Barcelone. Un tiers de la population du port sur la Méditerranée de 1,6 million d'habitants à l'architecture moderniste est au bord de l'exclusion sociale.

Ada Colau, élue avec les voix d'indépendantistes catalans de ERC, des socialistes et du parti antilibéral CUP, entend mettre en oeuvre un plan de choc contre les inégalités.

La crise puis l'austérité pour redresser les comptes du pays imposée par le gouvernement de Mariano Rajoy depuis son arrivée au pouvoir fin 2011 ont coûté cher au Parti populaire conservateur.

Globalement, lors des régionales et municipales du 24 mai, le PP a perdu dix points, restant premier avec 27 % des suffrages, mais au coude à coude avec les socialistes. Podemos, né en janvier 2014, est troisième, talonné dans les sondages par l'autre nouveau parti de centre-droit Ciutadanos.

Podemos, allié de Syriza en Grèce, va désormais être jugé sur pièce, dans les mairies où il a des conseillers. «Notre objectif principal est de gagner les élections générales», a souligné Pablo Iglesias.

Quand les «indignés» remplacent la colère par la liesse

La joie s'est emparée des «indignés» à Madrid et Barcelone, où samedi ils ont oublié l'espace d'un soir la protestation pour la fête, après la victoire de leurs candidates aux municipales, Manuela Carmena et Ada Colau.

À Madrid, quatre ans après la naissance de leur mouvement, le 15 mai 2011, dans la lumière dorée de la fin d'après-midi, des enfants se baignaient dans une fontaine tandis que leurs parents dansaient sur un tube des années 80, «Vamos à la playa», remixés pour l'occasion.

Rassemblés au parc de Vistillas, les indignés en liesse avaient choisi pour toile de fond une vue imprenable sur le plus beau panorama de Madrid: le Palais royal et la sierra, à deux pas du plus ancien pont de la ville et d'un mythique «tablao» (salle de concerts) flamenco, le Corral de la Moreria.

Jose Carlos Puentes, 38 ans, militant écologiste, était heureux: «Aujourd'hui, c'est une journée pour s'enthousiasmer, sentir, pas trop pour penser, mais pour faire la fête. Les choses peuvent se faire d'une autre manière, avec les gens, juste ça, c'est une révolution».

Plus de mille personnes s'étaient rassemblées dans ces jardins après la victoire de Manuela Carmena, une ancienne juge de 71 ans, tête d'une liste dont la composition et le programme ont été décidés par des assemblées citoyennes.

La liste «Ahora Madrid», a été créée par des madrilènes issus du mouvement des indignés, du parti antilibéral Podemos, mais aussi des écologistes et des écolo-communistes. Elle dirigera la ville, bastion de la droite depuis 26 ans, avec le Parti socialiste.

Plus de 15 000 personnes ont participé à son élaboration, et elle a attiré des gens qui avait tourné le dos à la politique.

Comme Manuel Moreno, 35 ans, travaillant dans le secteur du marketing, grand brun au look hipster. «Je détestais le Parti populaire (droite), le PSOE (parti socialiste), la politique, les banques, les institutions,» raconte celui qui n'avait jamais voté. «Je pense que Manuela est une femme qui ne parle pas pour des idiots, entourée de gens normaux, raisonnables».

«Si, se puede»

«Voir des gens comme ça (des gens normaux) gouverner nous émeut beaucoup et nous donne de l'espoir», témoignait aussi Concha Alvarez, fonctionnaire du secteur de la santé de 47 ans.

Concha Alvarez et son ami Jesus Ruiz faisaient partie des manifestants qui il y a peu encore défilaient encore devant la mairie, pour dénoncer l'austérité et la corruption.

«Il y a des gens qui vivent avec 250 euros, pendant que d'autres personnes poursuivies pour corruption comme Luis Barcenas (ancien trésorier du Parti populaire) vont au ski», dénonce-t-elle.

Non loin de là Pilar Barrio, patronne de café de 59 ans, sans révéler son vote, espérait en revanche que les indignés gouverneront «sans fanatisme». «Je n'aime pas la lutte des classes. Nous l'avons déjà eue», lâche-t-elle dans une allusion à la guerre civile (1936-1939).

Un policier municipal surveillant les abords du palais de Cibeles, siège de la mairie, semblait lui un peu déboussolé après 26 ans de mairie à droite pendant lesquels il a dû canaliser, parfois, la foule des indignés.

Le maintien de l'ordre, «ce n'est pas quelque chose qui peut s'improviser» disait-il: «Ici c'est une grande ville, avec trois millions d'habitants, beaucoup de touristes, des pick-pockets dans le centre», insistait l'homme, sous couvert de l'anonymat, résumant en partie la peur des quelque 500 000 madrilènes ayant voté pour la droite.

Toute la journée, le même cri de ralliement des indignés, «si se puede, si se puede !» (Oui, c'est possible) a retenti à Madrid et Barcelone.

Il s'est fait entendre dès 11 h 30 locales dans la capitale espagnole, lors du dépouillement du 29e bulletin (sur 57) qui donnait la majorité du conseil municipal pour la juge Carmena.

Quelques heures plus tard, ce fut au tour de l'indignée Ada Colau d'être officiellement élue maire de Barcelone, la deuxième plus grande ville du royaume. Des milliers de partisans l'attendaient devant la mairie place Sant Jaume.

Ada Colau, 41 ans, est alors retournée dans la rue après son investiture, pour un incroyable bain de foule où les habitants de Barcelone l'ont arrosée de confettis, qui sont aussi tombés sur les policiers qui l'entouraient.

Et, après quatre ans de manifestations «contre», les indignés ont changé, samedi, leur refrain: «Et Oui, et oui, ils nous représentent».