Gordon Brown s'apprête à quitter Downing Street comme il y est entré en juin 1997: sans avoir remporté une élection nationale. Les législatives de jeudi ont brisé le rêve d'un homme ambitieux mais maladroit qui n'aura su ni séduire ni convaincre les Britanniques.

Car en annonçant lundi qu'il se retirait de la direction du Labour d'ici l'automne, M. Brown a de facto annoncé la fin de sa carrière politique.

Admiré et respecté à l'étranger, Brown n'a guère soulevé l'enthousiasme chez ses concitoyens, devenant même après la crise économique l'un des Premiers ministres les plus impopulaires de l'après-guerre. Au point d'essuyer plusieurs tentatives de putsch au sein de son propre parti travailliste.

Ses proches le jurent pourtant: en privé, cet Écossais de 59 ans n'est pas l'être bourru, ombrageux et entêté, qu'il paraît. C'est un compagnon drôle et cultivé, sensible, amateur de joutes verbales comme d'une bonne bière devant un match de football.

L'image publique est plus brouillée. Ces derniers mois, ses conseillers ont tenté de montrer un aspect plus «humain» de ce bourreau de travail, dont le tempérament volcanique a été crûment exposé dans un récent livre politique.

Sa femme Sarah, ex-responsable de relations publiques, a dit d'interviews en discours tout son amour pour un mari attentif, un père aimant, un homme de principes.

Ses derniers discours de campagne, enflammés, ont confirmé sa rage de vaincre, appuyée sur des convictions héritées selon lui de son éducation, de son milieu familial modeste à Kircaldy (Écosse). De son père, pasteur presbytérien, qu'il cite quasiment à chaque discours.

Ce père qui s'est battu pour que son fils doué puisse intégrer l'université d'Edimbourg à 16 ans, dont il sortira docteur en histoire. Il y perdra l'usage d'un oeil lors d'un match de rugby.

Le jeune Gordon s'y découvre une passion pour la politique: après une brève incursion dans le journalisme et l'enseignement, il devient député en 1983. À Westminster, il se lie d'amitié avec un jeune député brillant qui va changer sa vie: un certain Tony Blair.

Ensemble, ils vont moderniser et recentrer le vieux parti travailliste, le transformant en une formidable machine de guerre électorale qui portera Blair à Downing Street à trois reprises, en 1997, 2001, puis 2005.

Dès 1997, Blair fait de Brown son puissant ministre des Finances.

Le «chancelier de fer» octroie son indépendance à la Banque d'Angleterre, refuse l'entrée dans la zone euro. On le crédite de la forte croissance du pays, enviée en Europe.

Après 10 années d'attente, estimant que son tour était venu, Brown et sa garde rapprochée poussent vers la sortie un Blair affaibli par la guerre en Irak. Il entre à Downing Street sans élection.

Après une brève lune de miel, Brown tergiverse, et finit par renoncer à l'automne 2007 à convoquer des élections anticipées malgré une avance solide dans les sondages.

À l'automne 2008, la crise économique lui permet de redresser la tête. Il lance d'ambitieux plans de sauvetage bancaire, salués et imités dans le monde. Mais les syndicats et l'opposition l'accusent de laisser les déficits s'envoler. Sa popularité s'effondre, durablement.

La campagne des législatives ne fera que confirmer son manque d'aisance face aux caméras, notamment face à ses jeunes et sémillants rivaux, le conservateur David Cameron et le libéral-démocrate Nick Clegg.

Aux portes de cette retraite qu'il redoutait, l'infatigable Brown ne devrait pas rester inactif. Il a laissé entendre qu'il pourrait se tourner vers l'enseignement, participer aux oeuvres caritatives de son épouse, s'occuper de leurs deux jeunes enfants.

«Je ne veux pas faire des affaires», comme Tony Blair devenu multi-millionnaire après son départ du pouvoir, a-t-il récemment confié. «Je veux juste faire quelque chose de bien, je veux aider les autres».