Un apparent lapsus du président français Nicolas Sarkozy, qui a considéré comme «coupables» les inculpés jugés au procès Clearstream, a provoqué jeudi un tollé et suscité une contre-attaque du principal d'entre eux, l'ex-premier ministre Dominique de Villepin.

Dénonçant une «atteinte scandaleuse» à la présomption d'innocence, les avocats de Dominique de Villepin, ont annoncé jeudi leur intention de poursuivre en justice Nicolas Sarkozy. Interrogé à la télévision sur le procès Clearstream, Nicolas Sarkozy a déclaré mercredi soir: «Au bout de deux ans d'enquête, deux juges indépendants ont estimé que les coupables devaient être traduits devant un tribunal correctionnel».

L'affaire Clearstream est une vaste affaire de manipulation, dans laquelle des listings bancaires ont été falsifiés et transmis à la justice afin de faire croire que certaines personnalités, dont Nicolas Sarkozy, détenaient des comptes occultes.

Dominique de Villepin est accusé d'avoir pris part à cette machination visant à discréditer M. Sarkozy, alors qu'ils siégeaient au même gouvernement mais étaient rivaux dans la course à la présidentielle de 2007.

C'est le mot «coupables» dans la bouche du garant de l'indépendance de la justice qui a déchaîné les passions, dans le milieu judiciaire et la classe politique.

L'opposition et, chose rare, une partie de la majorité de droite ont rappelé l'un des principes fondamentaux du droit français: tout inculpé à un procès est présumé innocent tant qu'il n'a pas été définitivement condamné.

Le chef de file des centristes, François Bayrou, a relevé un lapsus «révélateur de l'ambiguïté de la position» de Nicolas Sarkozy dans cette affaire, où il est à la fois «celui qui a déposé plainte» et le «garant de la justice».

Cette «position anormale ne devrait pas être acceptée dans une République qui a des principes», selon M. Bayrou.

En France, le chef de l'État bénéficiant d'une immunité, d'éventuelles poursuites ne pourraient être examinées qu'à l'issue de son mandat.

Pour cette raison, l'ancien leader du parti socialiste François Hollande a estimé que le président «aurait dû se mettre de côté» dans le procès Clearstream, par respect de la séparation des pouvoirs, comme l'ont traditionnellement fait ses prédécesseurs.

Nicolas Sarkozy, avocat de formation, avait déjà été au centre d'une polémique du même type en qualifiant d'«assassin» Yvan Colonna, le tueur présumé d'un préfet de Corse, avant son procès.

Dès le début du procès Clearstream, la singularité de la position de M. Sarkoy a été dénoncée par le camp Villepin: l'ancien premier ministre avait estimé que sa présence sur le banc des accusés n'était due qu'à «l'acharnement d'un homme, Nicolas Sarkozy».

Il n'a eu de cesse de dénoncer le déséquilibre entre lui-même et un président intouchable, mais dont l'avocat siège au banc des victimes.

Dans cette affaire, les faussaires présumés des listings Clearstream se sont mutuellement accusés de mentir et ont tenté d'impliquer directement Dominique de Villepin, affirmant l'avoir rencontré - ce que ce dernier nie farouchement.

Le «lapsus» présidentiel semble donc tomber à point nommé pour l'ex-premier ministre, qui ne devrait être entendu que la semaine prochaine et dont les fidèles ont lancé de nouvelles charges jeudi.

Le député de droite Jean-Pierre Grand a ainsi affirmé qu'en parlant de «coupables», Nicolas Sarkozy avait «renouvelé sa feuille de route à la justice».

Pendant que l'affrontement entre les deux hommes fait rage dans les médias, le tribunal s'est donné jusqu'au 23 octobre pour juger l'affaire Clearstream.