Meurtres, brutalités policières, déclarations ministérielles controversées: la communauté gay et transsexuelle de Turquie dénonce un regain d'homophobie dans le pays.

«Rien que le mois dernier, cinq personnes ont été tuées», affirme Demet Demir, militante de l'association de défense des droits des homosexuels Istanbul-LGBTT, rencontrée jeudi.

À Antalya, localité au sud du pays, «une de nos amies transsexuelles a été sauvagement assassinée: on lui a tranché la gorge. À Istanbul, une autre a été tuée à coups de couteaux», poursuit-elle.

Trois jeunes «avaient monté un plan pour la tuer et prendre son argent», mais la victime n'avait sur elle que «70 livres et une petite chaîne en or», explique-t-elle.

La militante transsexuelle évoque aussi trois meurtres de gays en Anatolie, région du sud-est, qui portent selon elle à 45 morts en trois ans le nombre de victimes des «crimes haineux» homophobes en Turquie.

Dans ce contexte de violences, les récentes déclarations sur l'homosexualité d'une ministre du gouvernement islamo-conservateur ont créé un tollé parmi les militants gays.

«L'homosexualité est un désordre biologique, une maladie, (...) une chose qui doit être soignée», avait estimé début mars la ministre de la Famille et de la Femme, Aliye Selma Kavaf, interrogée par un quotidien.

Mme Kavaf «doit s'excuser auprès de tous les gays, lesbiennes, bisexuels, travestis et transsexuels pour ses déclarations discriminatoires et qui désignent les homosexuels comme des cibles», avait déclaré mardi Rüzgar Gökçe après le dépôt par son association Lambda d'une plainte pour incitation à la haine.

Passages à tabac par la police, viol -en deux décennies de travail sur le trottoir, Ece, une transsexuelle de 43 ans, a eu le temps d'approfondir la question des violences homophobes.

«Hier encore, les policiers ont investi notre maison de passe en enfonçant la porte au bélier. Ils ont arrêté tout le monde et frappé une des filles à coups de matraque. Elle a eu trois points de suture», relate-t-elle.

Estimant que la violence contre les transsexuelles, pour la plupart des prostituées, avait toujours existé en Turquie, Ece admet pourtant avoir pris des précautions face à la recrudescence des meurtres: ne pas travailler seule à la maison ou, plus dangereux encore, en bordure d'autoroute.

«Dans les maisons de passes où nous allons, il y a toujours des gardiens, des gens qui font le ménage (...) On n'est jamais vraiment seule avec le client», explique-t-elle. «Si quelqu'un se fait agresser, les collègues à côté vont intervenir. S'il y a une bagarre, on rentre dedans aussi».

Selon un courrier envoyé fin février par des associations au premier ministre Recep Tayyip Erdogan, huit transsexuelles ont été assassinées en 16 mois.

Pour Ece, les autorités portent une part de responsabilité dans ces crimes.

«Quand une ministre fait de telles déclarations, quand la police pénètre chez toi en fracassant la porte et te frappe à coups de matraque (...), il y a forcément des gens qui vont se dire: ce sont des êtres mauvais qui vont penser qu'ils ont le droit de te faire disparaître», affirme-t-elle.

À l'inverse de nombreux autres pays musulmans, la Turquie ne réprime pas l'homosexualité. Mais elle n'offre pas non plus de protection spécifique aux homosexuels.

«Il n'y a dans le système juridique turc aucune référence à l'homosexualité, ni de pénalisation, ni de prise en compte positive. Mais ce vide juridique est toujours utilisé à l'encontre des homosexuels», déplore Me Firat Söyle, avocat de Lambda, qui réclame l'instauration de règles empêchant les discriminations liées à l'identité et à l'orientation sexuelles.