Au moins 22 civils ont été tués dans des combats à l'arme lourde entre forces ukrainiennes et séparatistes au cours des dernières 24 heures dans l'est de l'Ukraine, au moment où les Européens renforcent leurs sanctions contre la Russie.

L'offensive des troupes loyalistes, qui ont déjà regagné du terrain ces derniers jours, donne lieu à de violents affrontements, notamment à Gorlivka, l'un des fiefs des insurgés situé à 45 kilomètres de Donetsk. Selon l'administration régionale, des tirs d'artillerie y ont fait 17 morts, tous des civils, en 24 heures, qui s'ajoutent aux 13 morts de dimanche.

Plusieurs maisons dans le centre-ville ont été subi des dégâts, touchées par des obus ainsi que des bâtiments administratifs. Plusieurs obus sont tombés sur un hôpital et ont notamment endommagé la maternité.

Il n'était pas possible de déterminer l'origine des tirs. L'ONU a dénoncé le recours à des armes lourdes dans les zones d'habitation, aussi bien par les séparatistes prorusses que par l'armée ukrainienne, dans un rapport publié lundi qui faisait état de plus de 1100 morts dans des combats dans l'Est depuis la mi-avril.

À Donetsk même, de fortes explosions ont été entendues à la mi-journée mardi par des journalistes de l'AFP. Les services de secours ont indiqué peu après qu'un immeuble d'habitation et un autre de bureaux avaient été touchés par des tirs de gros calibre.

À Lougansk, autre bastion rebelle, les autorités locales ont dénombré cinq morts parmi les civils et Kiev a évoqué des tirs aux lance-roquettes contre l'aéroport.

Le site de l'accident d'avion inaccessible 

Les forces ukrainiennes ont intensifié leur offensive ces derniers jours et ont revendiqué mardi de nouvelles prises, notamment le village de Stepanivka, à environ 80 kilomètres à l'est de Donetsk. Cette zone située entre la frontière russe et le site, où le Boeing malaisien s'est écrasé le 17 juillet, est le théâtre de violents combats ces derniers jours.

Pour le troisième jour consécutif mardi, les experts néerlandais et australiens ont renoncé à se rendre sur les lieux de l'accident où demeurent débris et dépouilles, chaque jour qui passe rendant l'enquête sur la catastrophe aérienne plus compliquée.

Le premier ministre néerlandais, Mark Rutte, a appelé le président ukrainien, Petro Porochenko, pour demander l'arrêt des combats près du site, qui constituent, selon Moscou, une violation de la résolution votée à l'ONU après le drame qui a fait 298 morts.

«Les militaires ukrainiens ne mènent aucun combat sur la zone de la catastrophe. Cette zone est bloquée par les terroristes», s'est défendu un porte-parole militaire ukrainien, Andriï Lyssenko.

Il a cependant ajouté que les forces ukrainiennes faisaient «tout leur possible pour libérer cette zone» et indiqué que dix militaires ukrainiens avaient péri au cours des dernières 24 heures.

L'accident de l'avion malaisien, abattu par un missile alors qu'il assurait la liaison Amsterdam-Kuala Lumpur, a provoqué une nouvelle escalade de la crise ukrainienne et l'ONU a estimé lundi qu'il s'apparentait à «un crime de guerre». Kiev et les Occidentaux accusent les séparatistes d'être responsables du drame et haussent le ton contre la Russie accusée d'armer la rébellion.

Côté russe, des observateurs de l'OSCE (Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe) devaient se rendre mardi à deux postes-frontière avec l'Ukraine soupçonnés de servir de point de passage pour des armes.

Comment l'armée ukrainienne reprend l'avantage dans l'Est

Les forces ukrainiennes, en difficulté au début de leur offensive dans l'Est, ont désormais repris une grande partie du terrain aux séparatistes en musclant leur offensive et espèrent les isoler au maximum, notamment de la frontière russe.

Comment les troupes ukrainiennes ont-elles repris la main?

Après l'humiliation subie en Crimée, perdue en trois semaines sans combat, peu de gens croyaient à un succès de l'armée ukrainienne dans le Donbass. De fait, ses premiers pas en avril ont tourné à la déroute: ses premiers blindés arrivés dans la place forte séparatiste de Slaviansk sont soit saisis par les insurgés, soit contraints de rebrousser chemin après avoir été bloqués par de simples villageois.

Après deux mois de combats localisés et l'arrivée au pouvoir de Petro Porochenko, les forces loyalistes ont fini par déloger début juillet les séparatistes de Slaviansk. À partir de là, les insurgés ont reculé.

«L'armée ukrainienne apprend sur le tas et démontre sa capacité à apprendre», estime l'expert ukrainien Valentyn Badrak, directeur du Centre pour les études de l'armée, la conversion et le désarmement. «En outre, le patriotisme a bien servi les succès des soldats ukrainiens», ajoute le spécialiste.

En trois mois, l'armée, qui compte plus de 100 000 hommes mais minée par le manque de moyens et la corruption, a reçu des financements supplémentaires, malgré la situation catastrophique des finances publiques de l'ancienne république soviétique, et du matériel. Elle a bénéficié de plusieurs vagues de mobilisation de réservistes.

Elle a aussi été renforcée par la Garde nationale,  regroupant des unités de volontaires souvent issus du Maïdan de Kiev, placée sous l'autorité du ministère de l'Intérieur. Certains bataillons disposent d'une grande autonomie, critiquant parfois les autorités ouvertement, à l'image du bataillon Donbass, armé en partie de matériel occidental moderne qui serait financé par des oligarques proches du pouvoir.

«Le sens moral et la volonté de combattre sont forts parmi ces hommes et cela suffit à maintenir le tempo opérationnel de l'offensive», juge Konrad Muzyka, expert de la société d'analyse militaire IHS Jane's. «Par ailleurs, l'écrasement du vol MH17 a mis les séparatistes sur la défensive et permis aux Ukrainiens de prendre l'initiative», ajoute-t-il.

Quelle est la stratégie de Kiev?

«Les soldats ukrainiens ont compris qu'il s'agissait d'une vraie guerre et que la survie du pays était en jeu», constate à Moscou Konstantin Kalatchev, directeur du Groupe d'expertise politique.

Même si Kiev se défend régulièrement de mettre en danger la population avec ses opérations, l'ONG Human Right Watch a reproché à Kiev le recours au lance-roquettes multiples Grad, qui frappent de vastes zones. Dans un rapport publié lundi, l'ONU a dénoncé l'utilisation d'armes lourdes dans des zones d'habitations par les deux parties du conflit.

Sur le plan militaire, l'intensification de l'offensive a permis de repousser les insurgés qui se sont retranchés dans les capitales régionales de cette région russophone, Donetsk et Lougansk, ainsi que la zone frontalière de la Russie séparant ces deux villes, où se déroulent l'essentiel des combats.

«Le but immédiat est maintenant de couper les troupes (rebelles, NDLR) à l'oeuvre à Donetsk de celles basées à Lougansk. Sans ligne d'approvisionnement ouverte, les premiers (plus loin de la frontière, NDLR) ne seront pas en mesure de soutenir leurs opérations en termes de main d'oeuvre et de matériel», explique M. Muzyka. «À long terme, le succès de l'offensive dépendra de la fermeture de la frontière», prévient-il.

Les rebelles ont-ils perdu leurs soutiens?

Si la Russie n'est pas intervenue, elle continue selon les Occidentaux d'alimenter la rébellion en armes, au moins passivement en les laissant passer la frontière. Selon l'expert russe M. Kalatchev, l'aide provient surtout actuellement de sources privées mais serait impossible sans bénédiction en haut lieu.

Mais dans leur retraite, certains chefs séparatistes n'ont pas caché leur déception face à l'attitude de la Russie, qu'ils avaient appelée à intervenir et à reconnaître l'indépendance de leurs «Républiques» autoproclamées.

«Une partie des combattants réfléchit à la manière de sortir du jeu: à tout moment Poutine peut mettre fin à son soutien sous la pression des Occidentaux», prévient l'expert ukrainien Valentyn Badrak.

«Les insurgés avaient pour objectif d'occuper le terrain jusqu'à l'arrivée des troupes russes. Quand ils ont compris qu'ils ne recevraient pas d'aide directe de Russie, l'objectif a disparu», observe M. Kalatchev. «Le soutien de la population s'est aussi dissipé: Les gens voulaient rejoindre la Russie et enviaient la Crimée. Maintenant ils ont compris, que la présence des rebelles fait d'eux des otages», ajoute l'expert.

Pour autant, «aucun doute: la Russie va réagir» à l'avancée ukrainienne, avertit M. Muzyka.

- Oleksandr SAVOCHENKO, Germain MOYON