Sergueï Nesterov rentrait chez lui, à Makeevka, une ville industrielle voisine de Donetsk, quand trois hommes ont surgi de nulle part pour lui sauter dessus.

Ils étaient armés de bâtons et de pistolets. Ils l'ont frappé sauvagement et lui ont tiré des coups de feu dans les jambes. L'homme de 35 ans s'en est tiré avec des contusions, une côte fracassée et une blessure au pied.

Ses agresseurs n'ont rien volé. Ils n'ont rien dit non plus, mais Sergueï Nesterov a compris le message. L'attaque n'était pas gratuite. S'il a été ciblé ainsi, c'est à cause du rôle qu'il joue dans l'élection présidentielle dont le premier tour aura lieu dimanche.

C'est que ce jeune business-man codirige la campagne du principal candidat à l'élection, Petro Porochenko, celui qui va vraisemblablement devenir le prochain président de l'Ukraine, et ce, peut-être même dès le premier tour.

Les sécessionnistes veulent empêcher que ce vote ait lieu dans les deux régions qui ont proclamé leur indépendance, Donetsk et Lougansk. Mais si les 7 millions d'Ukrainiens qui habitent ces régions ne peuvent pas voter, quelle sera la légitimité du prochain président?

Pour les deux parties, l'enjeu est crucial. Et les incidents se multiplient. Il y a deux jours, des hommes masqués ont mis le feu au local d'un autre candidat, Serhiy Tihipko, à Donetsk. À la fin du mois d'avril, Vladimir Rybak, conseiller municipal d'une autre ville de la région, Horlivka, a été torturé et assassiné. Son crime: avoir voulu retirer un drapeau de la «République populaire de Donetsk». Le meurtre n'est pas directement lié avec le vote de dimanche, mais il contribue au climat de peur.

Avant l'attaque de jeudi, des militants sécessionnistes de Makeevka se sont pointés à deux reprises au bureau de Sergueï Nesterov en lui demandant de prêter allégeance à la «République populaire de Donetsk» et de boycotter le vote.

Sergueï Nesterov appréhendait la visite suivante. «Ce qui s'est passé, je m'y attendais. Ils m'ont attaqué parce que je soutiens l'Ukraine. Et pour empêcher l'élection.»

Terrifié, il a préféré se faire soigner dans un hôpital de Dniepropetrovsk, où vit une partie de sa famille. C'est là que je l'ai joint au téléphone, hier. Il avait la voix tremblante et souffrait encore de ses blessures. Mais il jure qu'il ne se laissera pas intimider. «Dès que je pourrai, je reprendrai mon travail politique», assure-t-il.

«Ils sont terrorisés»

Les agresseurs de Sergueï Nesterov ont atteint partiellement leur but: le bureau de campagne qu'il dirigeait a fermé ses portes. Mais le deuxième local du candidat Porochenko à Makeevka reste ouvert. À sa tête: Svetlana Dadachova, la tante de Sergueï.

Le bureau occupe une seule pièce, dans un immeuble circulaire qui abritait autrefois un bar et un restaurant. De l'extérieur, rien n'indique que celui que l'on surnomme «le roi du chocolat» - Petro Porochenko possède la chaîne de chocolateries Roshen - a installé ses pénates ici. Il n'y a pas l'ombre d'une affiche identifiant le locataire des lieux. C'est l'anonymat absolu.

Ces jours-ci, Svetlana Dadachova et sa poignée de collègues se battent pour recueillir suffisamment de scrutateurs et d'observateurs électoraux pour que le vote puisse avoir lieu. Pour ça, il leur faut 226 personnes. Mais ils rament à contre-courant: «Dès que la liste se remplit, quelqu'un appelle pour se désister. Les gens sont pleins de bonne volonté, mais ils sont terrorisés», dit Svetlana.

Ils le seront encore plus le jour du vote, alors que tous appréhendent dérapages et provocations. Il est d'ailleurs impossible de savoir quels bureaux de vote seront ouverts le 25 mai dans les deux «républiques indépendantes». La Commission électorale de Donetsk a été forcée de fermer ses portes. Et le bureau d'enregistrement électoral à Makeevka, ouvert contre toute attente, n'avait reçu, à ce jour, qu'une dizaine d'électeurs...

Les candidats eux-mêmes ne se précipitent pas pour rencontrer les électeurs dans l'est du pays. Petro Porochenko s'est bien arrêté à Dniepropetrovsk, où il a rendu visite à Sergueï Nesterov. Mais il a été impossible de savoir si son programme allait l'amener au coeur des républiques autoproclamées, qui cherchent le rattachement à la Russie.

«Les gens doivent voter, c'est une élection importante», n'en affirme pas moins Larissa Chelkovskaya, au bureau électoral du candidat Porochenko, à Makeevka. Elle porte un regard plutôt sombre sur l'avenir immédiat de son pays et ne pense pas que Makeevka, cette ville déglinguée avec ses usines désaffectées et ses mines qui multiplient les mises à pied, reviendra un jour au sein de l'Ukraine.

«Il n'y a rien de bon devant nous», dit-elle en soupirant. Pourquoi donc essaie-t-elle chaque jour de convaincre les habitants de la ville à participer au vote de dimanche? «Parce que l'espoir, c'est ce qui meurt en dernier...»