Pendant que les grands de ce monde s'affrontent verbalement sur l'avenir de la Crimée, les autorités séparatistes et Moscou ont pris plusieurs mesures pour préparer l'annexion de la péninsule ukrainienne par la Russie.

Selon les experts, il n'aura pas fallu deux semaines aux militaires russes et aux milices pro-russes pour séparer la Crimée du reste de l'Ukraine. «Ils suivent un plan très rationnel. Pas à pas, ils ont coupé la Crimée du reste de l'Ukraine, préparant son annexion», estime un analyste de Kiev, Volodymyr Fesenko.

«Tout cela prépare l'étape suivante, le référendum, pour légitimer l'annexion», ajoute-t-il.

Voici comment en cinq étapes Moscou a mis l'Ukraine et la communauté internationale devant le fait accompli et a de facto pris le contrôle d'une région avant un référendum qui devrait entraîner son rattachement à la Fédération de Russie.

1. Installer un nouveau pouvoir par la force

Cinq jours après la chute du président pro-russe Viktor Ianoukovitch à Kiev, des hommes armés pro-russes prennent le contrôle des bâtiments du Parlement et du gouvernement régional à Simferopol, la capitale de la Crimée, et y hissent le drapeau russe. Un député pro-russe local, Serguiï Axionov, est rapidement choisi comme premier ministre régional par intérim et le parlement vote le rattachement à la Russie et la tenue d'un référendum le 16 mars.

Les nouvelles autorités reprennent sous leur coupe la police locale et, tout en s'appuyant sur des milices «d'autodéfense», commencent à recruter des soldats qui prêtent serment au futur «État».

2. Prendre le contrôle du territoire

Des milliers de soldats russes - dont beaucoup viennent apparemment des bâtiments de la flotte russe de la mer Noire basée en Crimée - sont déployés rapidement à travers la péninsule, dès que le gouvernement est passé aux mains des forces pro-russes.

Selon les gardes-frontières ukrainiens, leur présence pouvait être chiffrée cette semaine à quelque 30 000 hommes.

Ces soldats, bien équipés, mais ne portant pas d'insignes permettant de les identifier, encerclent rapidement les sites militaires des Ukrainiens. Ces derniers refusent de se rendre ou de partir. Il y a eu quelques tirs de sommation, mais pas d'affrontements violents jusqu'à présent.

Parallèlement, la flotte russe bloque les bâtiments de la marine ukrainienne, notamment dans le port historique de Sébastopol.

3. Sceller les frontières

Couper la péninsule de Crimée, qui part des rives sud de l'Ukraine, du reste du pays, était chose relativement facile.

À peine arrivées, les forces russes établissent des points de contrôle sur les deux seules grandes routes menant vers la péninsule. Et, signe que les forces russes sont là pour longtemps, des affiches annoncent la présence de mines.

À l'aéroport de Simferopol, les vols en provenance ou à destination de Kiev sont annulés, seuls les vols avec Moscou sont autorisés. Au moins un vol de Kiev a dû atterrir à Odessa, avant de rebrousser chemin. Des miliciens sont déployés à la gare de Simferopol pour contrôler les passagers venant du reste de l'Ukraine.

4. Contrôler les communications

La diffusion de six chaînes de télévision ukrainiennes a été coupée cette semaine, pour être remplacée par des chaînes russes. Des journalistes ukrainiens et étrangers ont subi des tracasseries et parfois des violences, comme lorsque cinq reporters ukrainiens ont été passés à tabac par des membres de forces pro-russes alors qu'ils couvraient une tentative de ces derniers d'occuper une base aérienne.

5. Tenir un référendum

Les habitants de la Crimée devront choisir dimanche entre le rattachement de leur région à la Russie et le retour à la large autonomie - une indépendance de facto - dont ils jouissaient aux termes de l'ancienne Constitution de 1992. Le maintien du statu quo au sein de l'Ukraine n'est pas envisagé. En dépit de nombreuses critiques mettant en cause la légalité de cette consultation, les responsables pro-russes affirment que le vote sera organisé honnêtement, ajoutant n'avoir aucun doute sur la volonté d'une vaste majorité de rejoindre la Russie.

«Après, soit la Crimée sera rapidement absorbée par la Russie, ce qui posera un grave problème pour la sécurité régionale et internationale, soit elle deviendra une sorte d'Abkhazie, un conflit gelé», estime Volodymyr Fesenko en référence à ce territoire séparatiste géorgien, dont l'indépendance, proclamée en 1992, n'a été reconnue que par cinq États, dont la Russie.