Récemment pris d'assaut par des miliciens prorusses, le Parlement local de Crimée a annoncé hier la tenue accélérée d'un référendum portant sur l'intégration de la région à la Russie, le 16 mars. Un développement bien accueilli par le Kremlin, mais sitôt qualifié «d'illégitime» par les États-Unis, l'Union européenne et le Canada. Cinq questions pour comprendre.

Q: Pourquoi tenir un référendum en Crimée dans 10 jours?

R: Vladimir Poutine a été déstabilisé par le tollé international et la condamnation presque unanime de son invasion de la Crimée, et il cherche aujourd'hui à donner une légitimité à son opération, explique en entrevue le politologue Sergiy Kudelia, de l'Université Baylor, au Texas.

«Pour Poutine, l'invasion de Crimée est un projet de longue haleine. Or, je ne crois pas qu'il s'attendait à autant de réactions sur la scène internationale. Maintenant, sa priorité semble être de montrer qu'il a l'appui de la population de la Crimée, et c'est pourquoi le référendum est devancé.»

Hier, le président Obama a ordonné des restrictions de visas pour «un certain nombre de responsables et d'individus», tenus pour «responsables ou complices de menacer la souveraineté de l'Ukraine». Le président américain a également autorisé des gels d'avoirs de responsables russes et ukrainiens. À Bruxelles, le président du Conseil européen, Herman Van Rompuy, a annoncé que l'UE allait signer l'accord d'association avec Kiev, ce qui comprend une aide monétaire de 15 milliards de dollars.

Q: La population de la péninsule criméenne souhaite-t-elle rejoindre la Russie?

R: Non, et la réception glaciale réservée aux soldats russes déployés sur le territoire en fait foi, explique Maria Popova, professeure associée de science politique à l'Université McGill.

«En Crimée, la majorité de la population parle le russe, et est d'ethnie russe, dit-elle. Or, quand on demande aux gens à quel pays ils appartiennent, environ la moitié dit appartenir à l'Ukraine, et l'autre moitié, à la Crimée. Très peu de gens, à peine 2 ou 3%, se sentent russes. Je crois que Poutine aurait dû tenir compte de ces réalités avant d'envahir la Crimée.»

Q: Le nouveau premier ministre de la Crimée, Sergueï Aksionov, a été mis au pouvoir il y a une semaine quand des milices prorusses ont pris le contrôle du Parlement. Le gouvernement de Kiev ne reconnaît pas sa légitimité. Est-il populaire dans la région?

R: Sergueï Aksionov, 41 ans, un homme politique dont le but avoué est l'unification de la Crimée avec la Russie, avait reçu à peine 4% des voix lors des dernières élections parlementaires en Crimée, note Maria Popova.

«Dans les années 90, il était un criminel, et les gens en Crimée connaissent même son pseudonyme de gangster. Il n'est pas populaire, mais ses idées sont alignées sur celles du Kremlin, donc cela explique qu'il a été choisi pour gouverner la région.»

Q: Le référendum du 16 mars peut-il dénouer l'impasse en Crimée?

R: On peut difficilement voir comment cela aiderait les choses: hier, l'Ukraine, l'Union européenne, les États-Unis et le Canada ont dit qu'ils ne reconnaîtraient pas les résultats du référendum.

«Le Canada ne reconnaîtra pas les résultats d'un référendum tenu dans une région qui est actuellement occupée illégalement par des forces militaires», a fait savoir le premier ministre Harper dans un communiqué.

Kiev a pour sa part qualifié le projet de référendum de «crime commis par les militaires russes» contre l'Ukraine.

Pour Sergiy Kudelia, l'idée de tenir un vote dans 10 jours en Crimée ne tient pas la route. «Ce n'est pas possible de tenir un référendum dans un laps de temps aussi court. Le Parlement de Crimée n'a pas accès aux listes électorales. Comment faire pour tenir un vote crédible dans ces conditions?»

Q: L'idée de tenir ce référendum au plus vite montre- t-elle que Poutine a décidé de jouer la carte diplomatique plutôt que de lancer les combats?

R: La seule raison qui explique l'absence de bain de sang en Crimée depuis l'arrivée des soldats russes est la retenue dont ont fait preuve les soldats ukrainiens, explique Maria Popova. «Les soldats ukrainiens n'ont pas pris les armes, et se comportent de manière très calme. Encore une fois, cela vient contrecarrer les plans du Kremlin, qui voulait montrer que la région était en proie au chaos, et devait donc être «sauvée» par la Russie.

Sergiy Kudelia note qu'au bout du compte, l'Ouest n'a pas plus de façon de contrôler le conflit.

«Aujourd'hui, je crois que la grande question en Europe et aux États-Unis est de voir si Poutine va poursuivre son invasion au-delà de la Crimée et se rendre dans l'est de l'Ukraine. Il n'y a pas grand-chose qui l'empêche de continuer.»

3 chiffres clés

23

Hier, 43 observateurs de l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) en provenance de 23 pays ont été refoulés à un point de contrôle de miliciens armés à l'entrée de la Crimée, et ont dû faire demi-tour. Très peu d'observateurs étrangers sont présents en Crimée.

1954

Année où le secrétaire général du Parti communiste en Union soviétique, Nikita Khrouchtchev, lui-même ukrainien, a donné le contrôle de la Crimée à l'Ukraine soviétique.

1,9 million

Population de la Crimée (estimations de 2007).