L'Ukraine est entrée dimanche de plain pied dans l'ère post-Viktor Ianoukovitch et a réaffirmé son «choix européen», mais fait face à des difficultés abyssales, à commencer par un risque de défaut de paiement.

Après trois mois de crise politique aiguë qui ont culminé cette semaine avec les plus violents affrontements qu'ait connus ce pays issu de l'Union soviétique (82 morts en trois jours), l'ex-opposition s'est rapidement mise au travail pour remettre le pays en état de marche.

Le Parlement, désormais dominé par les anti-Ianoukovitch, a pris les choses en main et nommé Olexandre Tourtchinov, un proche de l'opposante Ioulia Timochenko, au poste de président par intérim. La nomination d'un gouvernement devrait suivre dans les 48 heures, en attendant la tenue d'une élection présidentielle le 25 mai.

Le nouveau chef de l'État n'a pas fait mystère des difficultés qui attendent le pays.

«L'Ukraine est en train de glisser dans le précipice, elle est au bord d'un défaut de paiement», a-t-il dit dans une adresse à la nation diffusée à la télévision.

Il a néanmoins réaffirmé que l'intégration européenne était «une priorité» pour l'Ukraine.

«Nous sommes prêts à un dialogue avec la Russie, en développant nos relations sur un pied d'égalité (...) et qui respecteront le choix européen de l'Ukraine», a-t-il dit.

La haute représentante de la diplomatie européenne, Catherine Ashton, est attendue à Kiev lundi, où elle devrait rencontrer les «principaux acteurs» et «discuter du soutien de l'Union européenne à une solution durable à la crise politique, ainsi que de mesures pour stabiliser la situation économique» du pays.

Le ministre allemand des Affaires étrangères, Frank-Walter Steinmeier, a appelé dimanche à envisager une aide économique. «Une Ukraine en faillite serait un poids trop important aussi bien pour son grand voisin de l'est, que pour l'Union européenne», a-t-il plaidé.

Intégrité territoriale

Les dirigeants occidentaux avaient multiplié tout au long de la journée de dimanche les appels au respect de «l'unité et l'intégrité territoriale du pays».

Une partition de l'Ukraine ou le «retour de la violence» ne seraient dans l'intérêt ni de l'Ukraine, ni de la Russie, ni de l'UE ou des États-Unis, a estimé une proche conseillère de Barack Obama, Susan Rice.

La chancelière allemande Angela Merkel et le président russe Vladimir Poutine sont eux aussi tombés «d'accord sur le fait que l'Ukraine doit se doter rapidement d'un gouvernement en mesure d'agir et que l'intégrité territoriale doit être préservée», a annoncé la chancellerie allemande.

La nécessité «pour tous les États de respecter la souveraineté de l'Ukraine» a également été soulignée par le secrétaire d'État américain John Kerry lors d'un entretien téléphonique avec le ministre russe des Affaires étrangères Sergueï Lavrov, selon le département d'État.

M. Lavrov, pour sa part, a fait observer à M. Kerry que l'opposition ukrainienne n'appliquait pas l'accord du 21 février sur un règlement de la crise, «s'étant de facto emparée du pouvoir en Ukraine, refusant de déposer les armes et continuant à miser sur la violence», selon le ministère russe des Affaires étrangères.

M. Lavrov a insisté, selon le ministère, sur la nécessité d'appliquer pleinement cet accord de sortie de crise signé sous l'égide des ministres des Affaires étrangères allemand, polonais et français.

La Russie a décidé de rappeler à Moscou son ambassadeur en Ukraine pour des consultations «en raison de l'escalade de la situation», a indiqué le ministère russe.

La communauté internationale redoute que la crise des derniers mois n'ait encore creusé le fossé entre l'Est russophone et russophile, majoritaire, et l'Ouest nationaliste et ukrainophone.

Sur le terrain cependant, les régions plus proches de Moscou ne donnent pas signe de vouloir faire sécession.

Anatoli Moguilev, le Premier ministre de Crimée, péninsule du sud russophone qui abrite une importante base militaire russe, a annoncé dimanche que la république autonome allait se plier aux décisions du Parlement.

Et dans la région de Kharkiv, également russophone, le gouverneur et le maire, qui avaient fui le pays samedi, sont revenus dimanche et ont déclaré que «Ianoukovitch, c'est du passé».

Destitué samedi, M. Ianoukovitch restait dimanche introuvable.

Il a été lâché par son propre parti, le Parti des régions. «L'Ukraine a été trahie, les Ukrainiens dressés les uns contre les autres», a affirmé le parti dans un communiqué. Viktor Ianoukovitch est «responsable des événements tragiques» survenus en Ukraine, a-t-il dit.

Tapant du poing sur la table lors d'une session au Parlement, des députés ont exigé de savoir où il se trouvait, sans obtenir de réponse. Pour l'heure, l'ex-président ne fait l'objet d'aucune poursuite officielle.

Un semblant de normalité

Dimanche, le centre de Kiev avait renoué avec un semblant de normalité.

Profitant du calme revenu, des dizaines de milliers de personnes, familles avec jeunes enfants, sympathisants émus ou simples curieux, se sont pressés au centre-ville pour observer l'étrange décor de guérilla laissé par la crise.

Chargés de fleurs et armés d'appareils-photo, ils se recueillaient, inspectaient les imposantes barricades, les boucliers des défenseurs et les impacts de balles laissés par les violents affrontements de la semaine.

Selon un nouveau bilan donné dimanche par le ministère de la Santé, les violences ont fait 82 morts depuis mardi.

«Leur mort doit avoir un sens, provoquer un vrai changement. On ne veut pas seulement des nouvelles têtes au Parlement et au gouvernement, mais voir la fin de la corruption et du régime policier», déclarait Filip Samoilenko, 18 ans.

Dans le même temps, le siège du Parti communiste, allié du parti de Viktor Ianoukovitch au Parlement, a été saccagé par des manifestants et les inscriptions «Criminels», «Assassins», «Esclaves de Ianoukovitch» ont été taguées sur la façade du bâtiment.

Quelque 40 statues de Lénine ont aussi été déboulonnées ou vandalisées depuis le début de la semaine, principalement dans l'est du pays, selon les médias ukrainiens.

Des documents potentiellement explosifs détaillant un système de pots-de-vin organisé et une liste de journalistes à surveiller ont par ailleurs été découverts dans la résidence de M. Ianoukovitch en banlieue de Kiev.

Quant à Ioulia Timochenko, l'ex-égérie de la Révolution orange tout juste sortie de prison, elle a fait savoir qu'elle rencontrerait «très prochainement» la chancelière allemande Angela Merkel.

«Bienvenue dans la liberté», lui a lancé la chancelière, qui lui a également proposé de venir se soigner en Allemagne.