Loin de servir son idéologie, le carnage d'Anders Breivik a mis dans l'embarras toute l'extrême droite européenne, qui avait jusqu'ici le vent dans les voiles et qui risque maintenant d'être sous plus haute surveillance.

D'emblée, la thèse d'une attaque islamiste a été la plus fréquemment avancée. À tort: le tueur était un Norvégien, tout ce qu'il y a de plus blanc. Même le coordonnateur de la lutte contre le terrorisme de l'Union européenne, Gilles de Kerchove, a dû reconnaître cette semaine que «la surveillance de l'extrémisme de droite s'est relâchée», et qu'on avait fait erreur au cours des dernières années en ciblant «un seul type de terrorisme». On parle de leçons à tirer, mais lesquelles? Faut-il voir la tragédie sous le prisme du loup solitaire ou y voir le reflet, de près ou de loin, d'un continent aux prises avec une extrême droite de plus en plus tentaculaire?

Toutes les sociétés sont un jour confrontées à la tentation du repli identitaire lorsqu'elles ont à surmonter des crises, a rappelé le sociologue Erwan Lecoeur en entrevue à la revue Reversus en 2010. Dans les années 30, l'un des peuples les plus civilisés et éduqués de son temps n'a-t-il pas lui-même sombré dans l'idéologie nazie?

Aux quatre coins de l'Europe, les partis opposés à l'immigration prennent du galon, à commencer par la Scandinavie. «Aux dernières élections, l'extrême droite a raflé 23% des suffrages en Norvège, 19% en Finlande, 13% au Danemark et 6% en Finlande», note en entrevue téléphonique à La Presse le Français Jean-Yves Camus, chercheur associé à l'Institut de relations internationales et stratégiques.

«Jusque dans les années 70, poursuit-il, la Norvège, par exemple, était un pays extrêmement homogène, comme elle l'est toujours à l'extérieur d'Oslo. Puis, il y a eu la découverte du pétrole dans la mer du Nord, qui a rendu le pays un peu plus cosmopolite.»

Or, contrairement à la nation américaine qui s'est construite sur le melting-pot, en Europe, cette réalité passe mal. Si mal que les partis qui dénoncent l'immigration ne passent plus pour des extrémistes «mais pour des partis comme les autres, conventionnels», note M. Camus.

Ailleurs en Europe

La Scandinavie est loin d'être la seule dans son camp. Aux Pays-Bas, le Parti de la liberté de Geert Wilders préconise notamment l'interdiction du Coran, son chef qualifiant l'islam de «religion attardée».

En France, Marine Le Pen, qui a succédé à son père à la tête du Front national, dénonce «l'immigration massive». Pour M. Camus, si son discours donne davantage dans la rectitude politique que son père, le fonds de commerce est le même. «Ces partis ne peuvent pas vraiment changer de discours. S'ils le font, ils perdent leur créneau.»

N'empêche, la tragédie en Norvège a obligé bon nombre de partis à s'en dissocier et à dénoncer ceux de leurs rangs qui, notamment dans les réseaux sociaux, la minimisaient.

Le Front national français a suspendu l'un des ses candidats aux cantonales qui avait qualifié Anders Breivik de «premier défenseur de l'Occident». En Autriche, le parti d'extrême droite autrichien FPÖ a exclu un député après qu'il eut relativisé les attaques meurtrières en Norvège en soulignant le nombre d'attentats commis par des islamistes en Europe.

En France, Marine Le Pen a commencé à faire pleuvoir les poursuites en diffamation, relativement à sa biographie non autorisée aussi bien que contre quiconque qualifiera son parti d'être d'extrême droite.

Mais justement, de mettre les partis d'extrême droite au banc des accusés dans la foulée du drame norvégien, n'est-ce pas un raccourci? Qui peut quoi que ce soit contre la récupération par un fou furieux de ses idées ou de sa plate-forme politique?

«L'excuse du problème mental isolé ne me satisfait pas», dit M. Camus.

Après tout, faut-il se limiter à dire que l'Holocauste, qui a fait six millions de morts, n'est qu'affaire de chef mentalement dérangé? demande-t-il.

Crime contre l'humanité

Cette façon de voir les choses est bien celle des Norvégiens, qui sont nombreux à réclamer qu'Anders Breivik soit jugé pour crime contre l'humanité.

Jabeur Fathally, chercheur et professeur de droit international et comparé à l'Université d'Ottawa, relève que c'est peut-être là le seul espoir des Norvégiens de voir Breivik rester à l'ombre longtemps. Mais ce n'est pas gagné. «Pour un acte isolé, il est difficile de faire reconnaître qu'il s'agit d'un crime contre l'humanité.»

Si cette voie n'est pas possible, au mieux, Breivik restera en prison 21 ans. «Au Canada, on est beaucoup mieux protégés: un crime au premier degré vaut à celui qui l'a commis une peine à perpétuité. Nos lois sont plus sévères.»

Ne serait-ce que d'un strict point de vue juridique, le procès d'Anders Breivik sera à suivre. Ses avocats parviendront-ils à le faire innocenter pour trouble mental? En tout cas, aux yeux de Jabeur Fathally, quelqu'un qui prépare de tels attentats pendant sept ans aura bien du mal à plaider le coup de sang momentané.