Il lave les pieds de femmes détenues et préfère sa chambre d'hôtel au palais papal. Depuis son élection-surprise, François brise le moule de la papauté et fait sa petite révolution au Vatican. Saura-t-il rétablir l'image de l'Église catholique ?

«Soyez des bergers qui ont la même odeur que leurs brebis.» Le pape François a choisi cette image pour sommer les prêtres catholiques à se rapprocher de leurs paroissiens, à son homélie du Jeudi saint. L'Argentin de 76 ans, élu le 13 mars dernier, pratique à l'excès ce qu'il prêche. S'il était berger, ses vêtements porteraient l'odeur des sabots de ses ouailles.

Peu après son sermon à la basilique Saint-Pierre, le 28 mars dernier, François a lavé et embrassé les pieds de 12 prisonniers dans un centre de détention juvénile en banlieue de Rome. Fait remarquable, deux d'entre eux étaient des femmes : une Serbe musulmane et une Italienne catholique. Une première dans l'histoire du Vatican.

La coutume était de pratiquer ce rituel avec des prêtres, afin de reproduire fidèl ement le lavement des pieds des apôtres par Jésus . Aux traditionnalistes choqués, le porte-parole Federico Lombardi a répondu : «Exclure les filles aurait été un geste inopportun pour accompagner un message d'amour pour tous.»

L'ancien archevêque de Buenos Aires ne se moque pas seulement des traditions, il lève le nez sur la pompe associée à sa nouvelle position. Exit les chaussures de cuir rouges, la bague papale d'or, la pèlerine de velours. Il est également le premier souverain pontife en 110 ans à ne pas investir le luxueux palais papal . Il préfère demeurer à l'hôtel du Vatican en compagnie de prélats en visite.

Ce qui frappe davantage les fidèles, cependant, c 'est sa chaleur humaine, en rupture avec la froideur théologique et teutonique de Benoît XVI . «Il est comme nous», dit Tiziano Montorsi, un fermier toscan qui prie en famille chaque soir. «C'est quelque chose de vraiment nouveau pour l'Église.»

Encore dimanche dernier, François a longuement embrassé un jeune handicapé américain, Dominic Gondreau, avant son homélie de Pâques. «Il n'y avait pas un oeil sec autour de nous», a affirmé sa mère Christiana à CNN.

Un «naturel»

Résultat, le «pape des pauvres» fait un effet boeuf. Sur Twitter, le compte papal @pontifex est maintenant suivi par 5 millions de personnes, soit le double que sous Benoît XVI. Et pas très loin derrière le dalaï-lama et ses 6,6 millions d'abonnés.

Aux États-Unis, il a déjà été nommé une des 100 personnes les plus influentes par le magazine Time. Il fait bonne impression auprès de 84% des Américains catholiques, selon l'institut de recherche Pew contre 67% pour Benoît XVI à ses débuts en 2005.

Est-ce le couronnement d'une stratégie de communication du Vatican ? «Rien n'est mis en scène, répond le journaliste du Vatican Insider Gerard O'Connell, qui a vu François à l'oeuvre à Buenos Aires. Il a toujours agi ainsi. Cette proximité, c'est sa façon de prêcher l'amour de Dieu.»

Le pape François est un «naturel», croit également le gourou britannique des relations publiques, Max Clifford. «Les photos de ses baisers sur les pieds des jeunes ont fait le tour du monde, dit-il en entrevue téléphonique.

C'est le genre de publicité dont l'Église catholique avait grandement besoin. Un pape près du peuple, ça ne peut que plaire aux masses.»

Lune de miel

Même son de cloche du côté de l'expert Alessandro Speciale. «Le ton a changé: il est plus humble et ouvert, explique le journaliste de Religion News Service. La crédibilité de l'Église avait grandement souffert de sa gestion des scandales de pédophilie. Les catholiques voudront plus volontiers écouter un chef comme François.»

Le pape, bien que dans la même lignée conservatrice que Benoît XVI, avait d'ailleurs appelé l'Église à rompre avec un certain «narcissisme théologique » lors d'un discours préconclave qui avait impressionné les cardinaux.

Il est cependant encore trop tôt pour prédire si sa popularité sera comparable à celle de Jean-Paul II ou de mère Teresa. «C'est encore la lune de miel, affirme Max Clifford», qui lui accorde une note de neuf sur dix en termes d'image. «Et ce n'est pas un sprint, c'est un marathon. Mais ses premiers 100 mètres ont été merveilleux.»