Le jeûne de trois jours qu'ont décrété les leaders religieux en Haïti pour souligner le deuil national a pris fin hier. Mais il a eu de lourdes conséquences sur la santé de plusieurs habitants.

Micheline Joseph Janvier, 40 ans, souffre de tuberculose. La semaine dernière, elle semblait prendre du mieux, a expliqué sa voisine, Mybeline, installée comme elle dans un abri de fortune de la place Saint-Pierre, à Port-au-Prince, transformée en camp de rescapés.

Mais de vendredi à dimanche, Mme Janvier n'a rien avalé sauf de l'eau et un peu de pain. Ses voisins ont remarqué une détérioration de son état.

«J'avais la tête qui tournait. Je ne pouvais pas me lever», a raconté Mme Janvier, qui ne doit peser guère plus de 40 kg. Hier, jour qui marquait la fin du jeûne, elle n'avait encore rien mangé, incapable de trouver de la nourriture. Elle a tout de même réussi à se lever.

«C'est le Seigneur qui m'a mise debout», lance-t-elle.

«Le pays est détruit. Beaucoup de gens sont morts. J'ai fait le jeûne pour remercier Jésus pour ceux qui sont vivants», a-t-elle expliqué.

Vendredi, lors de la proclamation de cette journée de deuil national, La Presse a interrogé le ministre de la Santé, Alex Larsen, au sujet des conséquences d'un jeûne sur une ville dont plusieurs habitants peinent à se nourrir depuis un mois.

«Ce n'est pas le jeûne au sens strict, français, dictionnaire. Le jeûne, en Haïti, c'est la prière», a-t-il répondu, assurant que les Haïtiens allaient continuer de se nourrir et que son gouvernement soutenait cette initiative lancée par les leaders catholiques, protestants et vaudous.

Mais dans le camp de la place Saint-Pierre, tous les gens interrogés par La Presse ont dit avoir jeûné d'une façon ou d'une autre.

Bertrand Claude Faubin dit n'avoir presque pas mangé et se plaint de ne pas avoir de force dans les membres. Régine Cadet n'a bu que de l'eau sucrée et souffre de maux de ventre. «J'ai la cervelle vide», a dit Yolande Jenty, qui n'a mangé que des biscuits.

En principe, les enfants n'ont pas jeûné. Mais Franklin Savoy, 11 ans, a passé la journée d'hier couché sur une couverture, le souffle court. «Sa mère n'a pas cuisiné et ne l'a pas fait manger», ont dit les voisins.

Natasha Delva, une secrétaire de 30 ans, n'a mangé que des bonbons, quelques fruits et un peu de fromage pendant les trois jours de jeûne. Elle a souffert de diarrhée, mais n'a pas voulu se nourrir pour reprendre des forces.

Quand La Presse l'a rencontrée, hier matin, elle était allongée sur une civière à l'Hôpital de la communauté haïtienne, où on venait de lui administrer un soluté.

«Scientifiquement, le jeûne, c'est un peu délétère. Mais spirituellement, on a besoin de la prière pour remédier à notre situation. C'est pour avoir un Haïti meilleur que j'ai entrepris le jeûne», a-t-elle dit dans un excellent français.

«Tout le monde est faible, tout le monde a les mêmes symptômes», lance Kathy Stineman, infirmière américaine rencontrée dans le même hôpital. Elle dit soigner des cas de faiblesse généralisée depuis des semaines, mais a noté une forte augmentation du nombre de cas hier matin.

«Regardez autour de vous : tout ce monde est arrivé il y a moins d'une heure», dit-elle en montrant une trentaine de patients qui se plaignent des mêmes symptômes.