Fuir les rangs du groupe armé État islamique (EI), c'est accepter de pouvoir être tué à tout instant. «Je me disais, s'ils me trouvent, s'ils m'arrêtent, ils vont me décapiter», a confié l'an dernier un ex-combattant syrien de 26 ans qui s'est enfui en Turquie.

Son histoire et celle de 57 autres déserteurs du groupe État islamique en Syrie et en Irak font l'objet d'une nouvelle étude britannique, dont les conclusions sont sans équivoque: les combattants sont de plus en plus nombreux cette année à risquer leur peau en choisissant de quitter le groupe armé.

«Ces témoignages font voler en éclats l'image d'unité et de détermination que le groupe État islamique cherche à transmettre», écrit Peter R. Neumann, auteur de l'étude réalisée par le Centre international d'étude de la radicalisation (ICSR) du King's College de Londres.

Deux raisons évoquées

Deux raisons sont le plus souvent évoquées par les déserteurs. La première: l'obsession des hauts dirigeants du groupe État islamique pour les combats d'une extrême violence contre des civils et des rebelles syriens plutôt que contre le régime brutal de Bachar al-Assad.

Ensuite, les déserteurs dénoncent la corruption, le favoritisme et le racisme dans les rangs du groupe, dont les dirigeants semblent plus enclins à tirer des revenus du pétrole et à lever des impôts chez la population qu'à implanter un califat islamique.

Selon Christian Leuprecht, professeur agrégé de sciences politiques au Collège militaire royal du Canada et à l'Université Queen's, le rapport montre que les jeunes recrues deviennent essentiellement des instruments dans une lutte «qui n'a rien à voir ni avec l'intérêt de l'islam ni avec l'intérêt des jeunes ou avec le bien-être de la région», dit-il en entrevue.

On entend souvent parler des jeunes qui quittent le confort d'un pays occidental pour aller se battre aux côtés du groupe en Irak ou en Syrie. Ce phénomène ne doit pas faire oublier que la quasi-totalité des combattants du groupe est formée de jeunes recrutés localement, dit M. Leuprecht.

«Les gouvernements ont avantage à diffuser le récit des expériences des déserteurs. Je crois qu'on va en voir de plus en plus dans les mois à venir pour donner une voix à ces gens qui peuvent témoigner de la réalité sur le terrain, et révéler la dystopie d'un groupe comme l'État islamique.»

Des 58 cas de désertion analysés depuis l'automne 2014 par les chercheurs, 51 concernaient des hommes et 7, des femmes. Aussi, près des deux tiers des cas ont été répertoriés dans les huit premiers mois de 2015, ce qui suggère que les déserteurs sont de plus en plus nombreux à quitter le groupe armé.

Christian Leuprecht note que c'est sans doute lié aux offensives militaires contre le groupe. «Les jeunes recrues sont attirées par le succès. Dès que ça va mal à l'intérieur d'un groupe, dès qu'il cesse d'avoir des victoires à répétition, son pouvoir d'attraction est diminué. Ça démoralise les combattants, ça démoralise le leadership. Toutefois, sans solution politique durable, on peut penser qu'un autre groupe va surgir et prendre sa place.»

Étude britannique sur les combattants de l'État Islamique

• 58 déserteurs étudiés

• 66% ont déserté depuis le début de 2015

• Ils proviennent de 17 pays, dont la Syrie, la Turquie et l'Australie.

- Source: Victims, Perpetrators, Assets: The Narratives of Islamic State Defectors, King's College, Londres.