Trois mois avant l'attentat raté de Noël dernier contre un avion de ligne américain, le président du Yémen, Ali Abdallah Saleh, avait confirmé le rôle de premier plan des États-Unis dans la guerre contre la section locale d'Al-Qaïda, qui avait recruté et entraîné le jeune Nigérian aux sous-vêtements bourrés d'explosifs.

«Je vous ai ouvert grand la porte pour ce qui est du contre-terrorisme, je ne suis plus responsable», a déclaré l'autocrate de 68 ans à John Brennan, conseiller antiterroriste de Barack Obama, selon un télégramme diplomatique américain.

Aux prises avec des rébellions dans le nord et le sud de son pays, le président du Yémen comptait sur l'aide des Américains pour endiguer une des menaces les plus sérieuses auxquelles fait face son régime, à la tête duquel il se trouve depuis trois décennies. Il n'a cependant jamais donné aux États-Unis toute la latitude promise: il avait notamment refusé au général David Petraeus que des militaires américains foulent le sol de son pays pour participer à des opérations antiterroristes.

«Il ne faut pas être vu. Vous n'allez pas sur le terrain», a-t-il dit au général américain le 4 janvier 2010, selon un des câbles diplomatiques américains obtenus par WikiLeaks et divulgués hier par un groupe de journaux.

Cette conversation a eu lieu trois semaines après un raid aérien américain qui avait fait des dizaines de morts au Yémen. Elle en dit long sur le type de pouvoir qu'exerce Ali Abdallah Saleh au Yémen et sur le profit qu'il tente de tirer de sa relation avec les États-Unis.

«Nous continuerons à dire que les bombes ont été tirées par nous, pas par vous», a déclaré le président yéménite au général américain, tout en se réjouissant de la proposition de son interlocuteur de ne plus utiliser de missiles de croisière, jugés peu fiables, mais plutôt des bombes de haute précision larguées par des bombardiers, dans la lutte contre les militants d'Al-Qaïda au Yémen.

«Des erreurs ont été commises», a-t-il dit au général Petraeus en référence aux civils tués dans le raid américain du 17 décembre 2009.

Selon le câble du 4 janvier, le vice-premier ministre chargé de la défense et de la sécurité est intervenu dans cette conversation pour se targuer d'avoir «menti» au Parlement lorsqu'il avait affirmé que le raid aérien avait été mené par l'armée yéménite.

La rencontre du 4 janvier a pris fin sur un type de marchandage auquel le président Saleh a habitué les Américains au fil des ans. Selon le compte rendu diplomatique, le Yéménite a profité de la présence du général Petraeus pour réclamer 12hélicoptères de combat. Le général a refusé, même si Saleh lui avait promis de les utiliser «seulement contre Al-Qaïda».

Trois mois plus tard, Saleh s'est plaint à un autre responsable américain de ne pas recevoir assez de matériel militaire. «Vous êtes pressés quand vous avez besoin de nous, mais vous prenez votre temps quand nous avons besoin de vous», a-t-il dit.

Les télégrammes diplomatiques obtenus par WikiLeaks s'arrêtent plusieurs mois avant le 29 octobre dernier, jour de la découverte dans des avions-cargos au Royaume-Uni et à Dubaï de colis en provenance du Yémen et contenant des explosifs.

Les documents confidentiels divulgués hier démontrent néanmoins que les États-Unis s'inquiètent depuis longtemps des mesures de sécurité à l'aéroport de Sana. Des câbles font également état du nombre croissant d'Américains convertis à l'islam qui sont interpellés par les autorités yéménites après avoir noué des liens avec des extrémistes locaux.

Le Yémen a remplacé l'Afghanistan comme destination pour plusieurs djihadistes en herbe, qui répondent aux appels de l'imam radical américain Anwar al-Aulaqi, réfugié depuis 2002 dans la péninsule arabique.