La conjointe de Roger Morin, Rita, est frêle, mais son regard et sa voix traduisent encore une volonté qui a dû être considérable. En 1942, pour l'épouser, elle avait rejoint amoureux en Nouvelle-Écosse, au camp militaire où il était en entraînement. Trois mois plus tard, il partait pour la Grande-Bretagne. Rita était enceinte. «Je n'ai vu mon fils que trois ans et demi plus tard.», raconte l'ancien camionneur-artilleur du 4th Medium Artillery.

En décembre 1945, démobilisé - marié et père de famille, il comptait le nombre de points nécessaires -, il débarquait du train à Montréal. Rita l'attendait sur le quai, au milieu de centaines d'autres parents et amis parqués dans des enclos, venus accueillir les militaires qui défilaient devant eux. Pour Rita, c'était la fin de trois ans et demi d'une longue absence, ponctuée de lettres raturées par la censure. «Je ne l'ai reconnu que parce que je lui ai trouvé une ressemblance avec son père», raconte-t-elle, en riant doucement.

«Il était tellement ému qu'il était incapable de parler. On s'est serrés et on est sorti de la gare, toujours sans un mot.» Ils ont passé la nuit à l'hôtel. «C'est là qu'on a fait notre deuxième enfant.» Douze autres ont suivi. Ils sont mariés depuis 68 ans - 65 ont été vécus ensemble.

«Quand je suis revenu à la maison, raconte le lieutenant-colonel Charles Forbes, du Régiment de Maisonneuve, ma mère s'est aperçu que ce qui hantait mon esprit, sur le champ de bataille, ce n'était pas la peur, ce n'était pas de mourir. C'était de revoir ma maison paternelle. Toute cette affection, tout cet amour, est-ce que je le reverrais ? Quand je suis revenu à la maison, je suis resté trois mois sans sortir.»

Quelques années après la fin de la guerre, une Française lui a demandé son avis sur la réconciliation avec l'ancien ennemi allemand, dans une Europe nouvelle. «Une fois la guerre finie, après avoir admiré la science et la discipline militaires des allemands sur le champ de bataille, alors que je faisais la même chose qu'eux, pourquoi les haïr ?»

Il a demandé à communiquer avec un vétéran de la 12e division blindée SS, contre lequel il avait combattu en Normandie. Il a reçu une lettre de Karl Walter Becker, lieutenant commandant des éléments de reconnaissance. Il est venu le visiter à Québec au milieu des années 1970. Ils avaient combattu tous les deux à Saint-André-sur-Orne. «Il m'a dit : j'ai peut-être tiré sur toi. J'ai répondu : moi aussi. Remercions le Seigneur d'être deux mauvais tireurs.»

Le pilote de bombardier Jean Cauchy, abattu, capturé, puis libéré de son camp de prisonniers à la fin de la guerre, est revenu au pays en juin 1945. «Il est arrivé le 22 juin, nous nous sommes mariés le 22 août.», narre sa conjointe Céline LeVallée. Ils s'étaient rencontrés dans cet intervalle de deux mois. «C'était la fin de la guerre, évoque-t-elle. Tout se faisait vite.»

Il était urgent de vivre.